tiste en délire assurément, déroule devant nous une fantasmagorie
terrifiante ou douce. Ce qui permet à l’homme de
traverser impunément, cette démence périodique c’est, moins
encore son absurdité, que son manque d’organisation
avec notre expérience diurne. Faut-il cependant la condamner
sans réserve, comme une difformité mentale, heureusement
passagère ? Le rêve a certainement son utilité biologique.
« Sans les rêves, remarque le père de Henri d’Ofterdingen,
nous vieillirions sans doute plus vite ». Il y a dans
la tension prolongée que nous imposent les activités du
jour, dans l’effort abstrait de la pensée raisonnante quelque
chose qui use et finirait par stériliser l’esprit. Dans l’incohérence
du rêve semblent se régénérer tous ces tissus pensants,
qu’une pensée de jour, autoritaire et centralisatrice,
a parfois rudement comprimés.
Ce qui dans le rêve apparaît avec une telle évidence, parce qu’ici notre existence se trouve brutalement coupée en deux, se reproduit à un degré plus élevé dans la vie consciente de l’esprit éveillé. Notre pensée n’est-elle pas accompagnée en sourdine par une rêverie continue, sans cesse envahissante et de nouveau refoulée, où se préparent à notre insu toutes les combinaisons neuves et fécondes, comme par un travail de germination souterraine ? Penserions-nous même si nous ne rêvions sans cesse ? Précisément la poésie porte à une conscience plus distincte ce continuel rêve intérieur de la pensée, — elle est, dans une sphère plus haute, un produit analogue au rêve. En cela réside sa fonction « biologique ». « Toute poésie interrompt l’état normal, la vie ordinaire, à peu près comme le sommeil, pour nous rajeunir, pour maintenir en activité le sens vital ».[1] Une conversation attrayante, une simple anecdocte bien contée, une succession rapide d’images variées et imprévues, ce sont déjà des rudiments de poésie. Ne croyons-nous pas quelquefois rêver lorsque nous voyageons ? « Un conte ne renferme par-
- ↑ N. S. II, 1, p. 100.