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Page:Spenlé - Novalis.djvu/157

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L’INTUITIONNISME

fois qu’un fait banal, mais il amuse l’esprit. Il tient l’imagination en suspens, ou l’incite au changement, il la met dans un état fébrile artificiel et, lorsque l’effet se trouve entièrement atteint, la laisse avec un sentiment de bien-être renouvelé. »[1]

Mais il est une source plus profonde et plus originale de poésie : le sentiment. Une philosophie intellectualiste nous a trop accoutumés à ne voir partout que des « représentations », des idées ou des perceptions, de « petits tableaux » tout finis, des atomes mentaux qui s’enchaînent ou s’agrègent. Cependant notre vie intérieure est autrement riche, confuse, originale. Devant un spectacle, un paysage ou une figure, au cours d’une lecture, s’éveillent en nous des tendances de sympathie ou d’aversion, des sentiments de joie ou de mélancolie, de croyance ou de doute, de dépaysement ou de douce familiarité, — c’est un pittoresque émotionnel, une modulation intérieure, une gamme infiniment riche et souple dont les combinaisons innombrables fournissent à notre vie représentative comme un fond de résonance, une sorte de clair-obscur intérieur. « Comme tout change selon qu’un ange, un esprit puissant se tient près de nous, ou qu’un malheureux se lamente sous nos yeux ou qu’un paysan se plaint que la saison est bien mauvaise, et qu’il faudrait pour la récolte quelques journées grises et pluvieuses ! » La disposition morale importe plus ici que l’objet présenté. Que de tourbillons intérieurs ne soulève pas, à certaines heures, une sonnerie de cloches, un parfum furtif, une forme entrevue, une simple parole ! Cette pensée « qu’un paysage est un état d’âme » se trouve déjà à peu près formulée chez Novalis. « Un paysage doit être ressenti comme un corps animé, » dit-il, « chaque paysage est un corps idéal qui s’adapte à une disposition particulière de l’esprit ».[2]

  1. Ibid. p. 100.
  2. N. S. Comparer encore N. S. I, pp. 110-111 : le paysage somptueux, dit Henri d’Ofterdingen, est pour moi comme une rêverie intérieure — (wie eine innere Fantasie).