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Page:Spenlé - Novalis.djvu/158

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NOVALIS

Naturellement c’est dans l’amour surtout qu’apparaît cette activité idéoplastique du sentiment, cette puissance inhérente à l’esprit humain d’évocation ou de transfiguration poétique. « Qu’on regarde l’amour, dit Klingsohr à son jeune disciple ; nulle part ne se manifeste autant qu’ici combien la poésie est nécessaire à l’économie humaine. L’amour est muet ; la poésie seule peut lui prêter une voix, ou plutôt l’amour n’est que la plus haute poésie naturelle. » Non seulement dans la vie de l’instinct mais aussi dans notre imagination l’amour opère une sélection profonde, rejetant dans l’ombre et l’indifférence ce qui ne se rattache pas à l’objet aimé et évoquant autour de celui-ci un petit univers privilégié, qu’il anime d’une vie plus riche et plus intense. C’est plus qu’une simple figure de rhétorique quand Novalis dit qu’« autour de la personne aimée les plus belles fleurs viennent éclore ».

Le rêve et le sentiment, particulièrement l’amour, constituent donc une génialité instinctive et de tous les instants, une poésie naturelle, qui fleurit dans cette région obscure de l’âme que les allemands ont appelée du nom de « Gemüt ». « La poésie », disait Novalis, « est une représentation du « Gemüt », du monde intérieur dans sa totalité ». En termes analogues Frédéric Schlegel formulait l’art nouveau. « D’après ma terminologie est romantique ce qui nous représente un sujet sentimental revêtu d’une forme fantastique. »[1] Mais pour que cette poésie naturelle et encore inconsciente, pour que cette génialité instinctive du cœur humain prenne conscience d’elle-même, il faut qu’elle vienne se réfléchir et s’intensifier en une organisation supérieure d’artiste. Seul le génie la rend vraiment consciente et méthodique, seule l’œuvre d’art la rend féconde et communicative. Il y a ainsi une psychologie « spéciale » du génie. Le mysticisme ingénu de la nature va faire place à un mysticisme réfléchi, à une « poésie transcendantale ».

  1. Minor, op. cit., II, p. 370.