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Page:Spenlé - Novalis.djvu/187

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PHILOSOPHIE DE LA NATURE

sicale de la pensée, qui échappe à l’analyse précise, cette qualité toute suggestive de la phrase, évocatrice de rêves et de visions fuyantes, s’ornant de ci de là de quelques arabesques énigmatiques. Essayons cependant de pénétrer la pensée qui s’y cache.

Il se rattachait dans les associations occultistes du temps, au temple de Saïs et à l’image voilée d’Isis tout une doctrine ésotérique. Alchimistes et fabulistes avaient coutume d’y faire remonter leurs traditions hermétiques. Dans la Franc-Maçonnerie théosophique l’initiation aux « mystères égyptiens d’Isis » constituait un degré de la hiérarchie sacerdotale des Frères de la Rose-Croix.[1] Cette légende, avec les traditions occultistes qui s’y rattachaient, semble avoir inspiré à Schiller le sujet d’une poésie philosophique, publiée en 1795 dans les « Heures », sous le titre : l’Image voilée à Saïs. Si Schiller, comme il ressort des Lettres de Julius à Raphaël, semble s’être complu quelque temps dans les rêveries théosophiques, l’étude de la philosophie de Kant l’avait amené à une solution toute criticiste du problème de la connaissance. L’homme, disait Kant, ne peut atteindre qu’à un savoir relatif ; il ne peut connaître que les phénomènes. Les réalités surnaturelles sont impénétrables à son intelligence ; il faut donc renoncer à soulever le voile qui cache l’image de la divinité, il faut renoncer à l’intuition directe de l’Absolu : celui-ci ne se manifeste qu’indirectement à la conscience morale, sous la forme d’une Loi sacrée, du Devoir. Peut-être concluait l’auteur, ne devons-nous pas moins bénir la sagesse divine pour tout ce qu’elle nous a caché que pour tout ce qu’elle nous a révélé.

Schiller n’a fait que développer allégoriquement, dans l’Image voilée à Saïs, cette pensée philosophique. Une

  1. Sur la légende d’Isis, dans ses rapports avec la Franc-Maçonnerie mystique voir Ketmia Vere, Compass der Weisen. — Berlin et Leipzig 1779, p. 30 et suiv. La légende d’Isis apparaît dans tous les ouvrages du temps, où sont plus ou moins décrites les agitations alchimiques et occultistes, dans les « Fils de la Vallée » de Zacharias Werner, dans le « Heimweh » de Jung Stilling, et même dans un opéra de Mozart, la Flûte enchantée.