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Page:Spenlé - Novalis.djvu/188

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NOVALIS

loi mystérieuse interdit au néophyte de soulever le voile, qui couvre l’image de la divinité, car celle-ci seule sait l’heure où, sans danger pour l’homme, ce voile pourra être retiré. Si le néophyte enfreint l’ordre sacré, il sera peut-être un « sachant », mais il sera aussi un sacrilège ; pour toujours tarira dans son cœur la source du bonheur. De même que les « Dieux de la Grèce » de Schiller avaient inspiré à Novalis la troisième partie des Hymnes à la Nuit, il semble que dans le « Disciple à Saïs » le poète romantique ait repris la pensée philosophique exprimée dans « l’image voilée à Saïs », mais cette fois encore pour la retourner et la réfuter. La solution qu’il apporte est l’exact contre-pied de la solution criticiste, exposée par Kant et par Schiller. Elle se trouve formulée, dès le premier chapitre : « Si aucun mortel ne soulève le voile du côté de cette inscription là-bas, il nous faut donc tenter de devenir immortels : celui qui renonce à le soulever n’est pas un vrai disciple à Saïs. »

Il nous faut tenter de devenir immortels ! C’est la pensée qui déjà inspirait les Hymnes à la Nuit. Le monde lumineux et « phénoménal », la vie terrestre, la conscience individuelle ne sont que des illusions, derrière lesquelles se dérobe un monde plus profond et plus vrai, une réalité métaphysique occulte, l’empire de l’éternelle Nuit. « Encore tu m’éveilles, Lumière allègre ; tu rappelles l’homme fatigué au travail, tu me pénètres d’une vie joyeuse ; je veux bien agiter les mains industrieuses, porter mes regards en tous lieux, là où je peux te servir… Mais mon cœur reste fidèle à la Nuit et à sa fille, la Loi d’amour créatrice. » La même foi mystique inspire tout le premier chapitre du Disciple à Saïs. Le néophyte qui nous accueille à l’entrée du sanctuaire n’est autre que le poète des Hymnes à la Nuit. « Pour moi », dit-il, « je n’ai jamais ressenti ce qu’éprouve le Maître : tout me ramène sur moi-même. » Sans doute une réadaptation partielle à la vie, — dont on a noté déjà les progrès, — s’est accomplie dans l’esprit du jeune mystique ; mais l’intérêt supérieur qu’il prend à l’existence