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Page:Spenlé - Novalis.djvu/210

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NOVALIS

« n’eût jamais conclu à un pareil attachement, en voyant les deux amis réunis. Ainsi a-t-on coutume de s’attacher à ce qu’il y a de plus haut, sans que rien en paraisse au dehors ; uniquement à la joie divine qui se répand sur le visage l’initié reconnaît dans quel sens est orienté le cœur de l’homme. L’ami ne recherche pas ce cœur pour lui-même, mais il n’entre en rapport avec lui qu’en vue de la chose plus haute.[1] De son côté Novalis répondait à cet attachement quasi-religieux par un enthousiasme au moins égal. « Surtout donnez-moi bientôt des nouvelles de Ritter et de Schelling », écrivait-il de Freiberg. « Ritter est Ritter », ajoutait-il, jouant sur le nom de son ami, « et nous ne sommes que ses pages. Même Baader n’est que son poète. »[2] Il est fort possible que cette connaissance, faite en pleine période de deuil, avec les préoccupations à la fois scientifiques et mystiques qui agitaient alors l’esprit de Novalis, ait inspiré à celui-ci la poésie énigmatique, analysée plus haut — celle où un Enfant mystérieux offre au poète découragé sa baguette divinatoire et transforme du coup sa tristesse en une joie inépuisable. Quelle était en effet cette « chose plus haute », qui servait de lien spirituel entre les deux amis ? S’il faut en croire Steffens, disciple de Schelling, il s’était constitué autour de la personne de Ritter une véritable petite secte théosophique, où se préparait une opposition sourde contre la philosophie de Schelling. Les idées qu’on

  1. Fragmente aus dein Nachlass eines jungen Physikers, op. cit. p. XX.
  2. Raich, op. cit p. 101. Ritter signifie en allemand « chevalier ». — L’amitié de Ritter et de Novalis subit une éclipse pendant les années 1799 et 1800 ; Frédéric Schlegel succéda à Novalis dans l’affection de Ritter, sans que cependant cette seconde liaison fût aussi intime. Enfin un nouveau rapprochement avec Novalis s’opéra peu avant la mort du jeune poète. « Un des souvenirs les plus pénibles de l’auteur » raconte Ritter dans la préface de ses Fragments, « fut d’avoir un peu perdu de vue Novalis pendant cette dernière période… Il reporta dans la suite de nouveau toute son affection sur ce dernier, — mais Novalis mourut. Du moins eut-il le soulagement de recevoir une lettre du jeune poète, conservée dans ses papiers, lettre que celui-ci avait commencée peu avant sa mort et qu’il n’avait pu achever. » Cette lettre, s’il faut en croire Ritter, en outre des encouragements et des indications sur leurs aspirations communes, contenait des prophéties sur l’avenir, qui se réalisèrent (J. W. Ritter, Naclilass. etc. p Fragmente aus dein Nachlass eines jungen Physikers, op. cit. p. XXX et suiv.)