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Page:Spenlé - Novalis.djvu/221

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PHILOSOPHIE DE LA NATURE

peuvent être momentanément abolis ; au fond de nous-même se découvre une âme inconnue, une âme nocturne et somnambulique, un moi universel et transcendantal, à l’égard duquel « le moi habituel n’est qu’un simple « supplément ».

Le grand problème se pose donc d’évoquer cette âme, sans abolir du même coup la lucidité active de l’esprit : en ceci consiste proprement la divination. La Nuit mystique est une transcendance totale, absolue et excessive : la sphère consciente est ici complètement abolie. Il s’agit de trouver un état intermédiaire entre la veille et le rêve, un état de somnambulisme lucide, l’état « divinatoire » par excellence. Dans un passage fort curieux du disciple à Saïs, Novalis en fait une description très minutieuse. Il semble anticiper la méthode braidique de l’hypnose. « Sur tout ce que l’homme entreprend », lisons-nous, « il lui faut diriger son attention indivise ou son moi et, en procédant de la sorte, il voit bientôt naître en lui, très étrangement, des pensées ou une espèce nouvelle de perceptions, qui ressemblent aux légers tressaillements d’une pointe colorante et pointillante, — ou encore aux contractions et formations bizarres qui se produisent au sein d’un fluide élastique. Elles rayonnent en tous sens, en partant du point où s’est fixée son attention avec la mobilité d’une substance animée, et entraînent son moi à leur suite. Il peut parfois arrêter aussitôt ce jeu, en partageant de nouveau son attention, en la détournant volontairement, car ces perceptions paraissent n’être que les irradiations, les activités variées que son moi suscite de toutes parts au milieu du fluide, ou encore les réfractions de son moi, ou enfin un jeu bizarre, pareil aux ondulations d’un océan autour du point fixe où s’est arrêtée son attention. Il est tout à fait remarquable que l’homme prenne conscience dans ce jeu seulement de son originalité individuelle, de sa liberté spécifique et qu’il ait l’impression de se réveiller d’un sommeil profond, comme si maintenant enfin il se trouvait chez lui dans le monde et si maintenant seulement la lumière du jour se répandait