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Page:Spenlé - Novalis.djvu/222

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NOVALIS

au dedans de lui. Il lui semble avoir atteint le degré le plus parfait lorsque, sans troubler ce jeu, il peut en même temps vaquer aux occupations ordinaires des sens, sentir et réfléchir en même temps. Les deux espèces de perceptions y gagnent : le monde extérieur devient transparent et le monde intérieur se fait varié et expressif, en sorte que l’homme se trouve dans un état de vie intense, suspendu entre deux mondes, avec le sentiment de la plus complète liberté et de la plus joyeuse toute-puissance. Il est naturel que l’homme cherche à rendre durable une pareille disposition, à la répandre sur l’ensemble de ses sensations et qu’il ne se lasse pas de suivre à la trace les connexités des deux mondes, leurs lois, leurs sympathies et leurs antipathies. »[1]

Ainsi se précise la conception magique et symboliste, « antithétique-synthétique » du monde. La véritable nature, de ce point de vue, n’est pas directement perçue par les sens : ceux-ci ne nous donnent que l’enveloppe extérieure, le texte hiéroglyphique. Pour pénétrer jusqu’à la signification pofonde et cachée, il faut que l’homme se mette dans une disposition psychologique et morale particulière, qu’il réalise un état intermédiaire entre la conscience individuelle et le « sens » universel, par une sorte de demi-extase ou demi-somnambulisme divinatoire. Ce n’est que dans cet état de « suspension » entre les deux mondes, état provoqué par une aimantation magnétique de l’attention, que se découvre à lui la réalité intime de la nature. Entre les objets du monde environnant et lui s’établissent alors des rapports vraiment « attractifs », qui « entraînent son moi » à leur suite et lui donnent « l’impression de se réveiller d’un profond sommeil », de « se trouver maintenant seulement chez lui dans le monde ». On peut dire qu’il contraint alors les Esprits invisibles à lui apparaître, à se révéler à lui, que sa pensée « anime » la création comme elle anime son propre corps. Il est devenu mage et, en ce sens, tout puissant. Ici s’ouvre le domaine de la Physique supé-

  1. N. S. {{rom-maj|I|1}, pp. 230-231.