Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
PHILOSOPHIE DE LA NATURE

lui l’homme est vraiment tout puissant physiquement, il est un vrai magicien. Tout lui obéit, car son vouloir même est d’obéir à tout. Ses désirs sont tous satisfaits, car il n’a d’autres désirs que ceux qu’il doit avoir. »[1]

Dans le « Mærchen » comme dans le rêve se révèle donc un accord miraculeux de l’âme individuelle et de l’âme cosmique. Ce sont des échappées féeriques qui s’entr’ouvrent sur le monde, à certaines heures où se relâche la tension monotone d’un instinct exclusif, d’une préoccupation absorbante et où l’âme s’ouvre sans arrière-pensée à un étonnement naïf. Tous les éléments résistants, l’effort, le temps même et l’espace se trouvent subitement abolis. Un coup de baguette évoque arbitrairement, transforme ou clôt la féerie. Le poète semble s’être transporté au laboratoire secret de la nature et il joue avec les forces élémentaires « comme l’enfant joue avec la baguette magique de son père ». Et précisément dans cette anarchie capricieuse, dans cette « anarchie avant le monde ». réside ce que comporte, selon les romantiques. d’essentiellement philosophique un pareil genre littéraire. Le renversement des lois ou, plus exactement, des « coutumes » de la réalité nous apprend combien le monde, du point de vue idéaliste, est, sous sa forme actuelle, fortuit et provisoire. Tout procède d’un arbitraire initial : tel est, avons-nous vu, le point de départ spéculatif de la philosophie de Novalis : — tout doit rentrer dans un arbitraire final, telle est la conclusion de sa philosophie de la nature. Il est bon que notre esprit ne s’accoutume pas trop à une vision routinière de la réalité, à la régularité inflexible des lois physiques. Il est bon qu’à certaines heures l’impossible même nous paraisse vraisemblable, naturel, et qu’inversement ce qui est coutumier se découvre tout à coup extraordinaire, factice, que l’illusoire devienne réel et le réel illusoire, afin que dans ce dépaysement nous prenions conscience de notre originalité primitive, de notre liberté métaphysique. C’est le rôle du « Mærchen » de stimuler le besoin du merveilleux.

  1. Ritter, Nachlass etc., op. cit. p. 79.