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Page:Spenlé - Novalis.djvu/256

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NOVALIS

— mais c’était là, avons-nous vu, un enthousiasme éphémère, sans racines profondes. Du jour où la Révolution française passa de la défensive à l’offensive, elle se trouva face à face avec une puissance historique nouvelle, qu’elle contribua à susciter partout : le sentiment national. Ce sentiment s’était déjà réveillé auparavant, dans les hautes couches de la pensée allemande. Mais il avait revêtu ici une forme toute littéraire et n’était guère sorti du domaine artistique. À la suite de Lessing on partait en guerre contre l’esthétique classique française, ou encore, avec Klopstock, on aimait à errer dans les forêts héroïques et fabuleuses du passé germanique. Dans les dernières années du 18me siècle seulement, ces aspirations encore confuses et, dans les débuts, assez artificielles, trouvèrent un allié nouveau dans la propagande anti-révolutionnaire, particulièrement dans la réaction piétiste.

Ce parti de réaction piétiste avait établi son quartier général dans la ville même qui passait pour être le foyer par excellence des « lumières » et du progrès : à Berlin ; — il recrutait ses plus zélés collaborateurs dans cette association, plus ou moins occulte, de penseurs et de philanthropes, qui s’était proposé pour but de hâter l’affranchissement intellectuel et politique de l’humanité : dans la Franc-Maçonnerie. Les tendances les plus contradictoires s’affirmaient en réalité sous le couvert de cet Ordre secret, travaillé presque dès ses débuts par des dissentiments profonds. Les uns — c’étaient les Francs-Maçons « vieux-jeu », ceux qu’on ridiculisait à présent sous le nom d’Aufklærer — mettaient toute leur confiance dans une éducation philosophique et rationnelle de l’humanité. D’autres, tels que les Illuminés de Weishaupt, rêvaient la conquête des pouvoirs politiques et la réforme des institutions publiques, par l’organe d’une ligue secrète et puissante. Mais ici encore, en dépit des principes égalitaires, solennellement proclamés, et d’une hiérarchie, qui prétendait se fonder sur le seul mérite, la pensée révolutionnaire n’avait pu s’enraciner pro-