Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
252
NOVALIS

livres annuels de la monarchie prussienne sous le règne de Frédéric-Guillaume III ». Dans le cahier de juin de la première année un poète, encore inconnu du grand public, avait tressé au jeune couple royal une guirlande de vers, sous le titre symbolique de « Fleurs ». Le cahier de juillet apporta encore du même auteur un petit écrin de Fragments en prose. avec la dédicace : « Foi et Amour. Le Roi et la Reine ». Le poète qui avait déposé ces offrandes sur les marches du trône, signait du pseudonyme de Novalis.

Grande fut la surprise de ses amis, qui se rappelaient son enthousiasme révolutionnaire d’antan. Comment expliquer un si brusque revirement ? Les causes en étaient multiples. D’abord la loi psychologique qui régit le développement de ces esprits passionnés, et qui est la loi de contraste. « Je me connais trop bien moi-même, avec mes changements subits », avait-il écrit jadis à son père. — D’autres motifs encore, plus personnels, plus pathologiques, avaient agi sur son esprit. Comme tous les délirants il découvrait partout des similitudes secrètes avec l’objet de sa passion. C’est ainsi qu’il avait cru retrouver les traits de Sophie en regardant un vieux portrait, publié dans les Études physionomiques de Lavater. « Les plus beaux hommes ont dû lui ressembler », écrivait-il à ce propos. À présent c’est le buste de la reine Louise qu’il se fait envoyer et cette gracieuse image pénètre à son tour son délire mystique et s’amalgame à son idée-fixe. Les deux figures — celle de la jeune reine et celle de la morte bien-aimée — peu à peu se fusionnent dans son esprit. Il voudrait que le culte religieux qu’il a voué à l’une devînt comme un hommage indirect adressé à l’autre. Cet état d’âme a inspiré une petite poésie assez étrange intitulée « le génie mourant. »[1] Le poète imagine que l’ombre de Sophie lui apparaît une dernière fois. Dans une sorte d’holocauste mystique elle s’immole elle-même, devant l’incarnation nouvelle de l’idéal féminin que la reine Louise vient de manifester aux hommes. Pour-

  1. N. S. I, p. 360-361.