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Page:Spenlé - Novalis.djvu/261

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LA RELIGION NATURISTE

quoi visiterait-elle encore ce terrestre séjour, — à présent que le monde possède un objet si digne de fixer son amour et qu’une fleur si divine a pu éclore ici-bas ? « Longtemps ma pensée a erré vainement autour de chaque trône. Mais enfin par Elle (la reine Louise) l’antique patrie me fait signe. » Et s’adressant au poète : « Prends ces rameaux », dit-elle, « tu m’en couvriras. Tourné vers l’orient, tu entonneras l’hymne sublime, tandis que s’allumeront les premiers feux de l’aurore, par où s’entr’ouvriront à moi les portes du monde primitif. Le voile odorant, qui me revêtait jadis, s’écroulera sur les plaines en une rosée embaumée et quiconque en respirera le parfum jurera un éternel amour à la belle Souveraine. »

À ces effusions lyriques se mêlaient peut-être des considérations d’un ordre plus positif. Novalis avait formé autrefois le projet d’entrer dans l’administration prussienne. Il aurait trouvé là un protecteur puissant dans la personne de celui qui devait bientôt s’appeler le ministre de Hardenberg, et qui était un parent de la branche collatérale. Aussi voit-on le poète suggérer au nouveau monarque l’idée de se constituer une garde d’honneur, choisie parmi l’élite de la jeunesse allemande. « Pour le roi cette société serait très agréable et profitable. Mais, pour les jeunes gens, ces années d’apprentissage seraient la fête la plus brillante de leur vie, une source intarissable d’enthousiasme. »[1] La cour, présidée par une femme d’esprit et de goût, se changerait en un lieu de délices. Parmi les jeux innocents se rapprocheraient les couples assortis. Après une déclaration d’amour platonique à la belle souveraine, le jeune homme recevrait de ses mains, comme exaucement indirect de ses vœux, une compagne chaste et fidèle. C’était là pour Novalis une question qui commençait à devenir pressante. Tout en conservant à Sophie un amour « religieux », tout en affirmant théoriquement la supériorité de sa vocation première et la nécessité du suicide philosophique, il se résignait de plus

  1. N. S. II, 1, p. 49.