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NOVALIS

puis me choisir un supérieur ; je ne puis déléguer aucun pouvoir à quiconque est aux prises avec les mêmes difficultés que moi. La monarchie est le vrai système, précisément parce qu’ele est reliée à un centre absolu, à un être qui fait encore partie de l’humanité, mais non de l’État. Le roi est un homme érigé en fatalité. Cette fiction s’impose inéluctablement. Seule elle satisfait une aspiration supérieure de la nature humaine. Tous les hommes sont appelés à devenir rois. Le moyen propédeutique pour atteindre cette fin lointaine, c’est un roi. Il s’assimile peu à peu toute la masse de ses sujets. »[1] C’est donc à une sorte de catholicisme politique qu’aboutit la conception monarchique du jeune poète. Le roi joue dans l’ordre politique le même rôle que le pape dans le domaine spirituel : il est le représentant de Dieu sur terre, une émanation directe de l’idée divine. De même que les romantiques reprochaient au protestantisme sa sécheresse et son defaut d’organisation plastique, de même Novalis regrette de trouver la plupart des États modernes si dénués de poésie. Car c’est le rôle de la poésie de manifester l’invisible, de rendre concrète et sensible l’idée par un symbole. L’Idée de l’État, elle aussi, a besoin d’être sans cesse représentée dans une image vivante et poétique. « Chez le peuple tout est spectacle, — par conséquent l’Esprit du peuple doit, se manifester sous une forme concrète… Un des grands défauts de nos États, c’est qu’on y voit trop peu l’État. »[2]

Et Novalis rêve toute une hiérarchie nettement apparente, au moyen de décorations, d’uniformes nouveaux, qui rendraient visibles toutes les fonctions de l’État, comme autant de membres mystiques du Corps social. Surtout au monarque incombe la mission de « représenter » l’État dans sa totalité. Il doit être l’image vivante, et non le simple mandataire, de son peuple. « Un vrai prince est l’artiste des artistes… Le prince met en scène un spectacle infiniment va-

  1. N. S. II, 1, p. 40.
  2. N. S. II, 1, pp. 20 et 40.