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Page:Spenlé - Novalis.djvu/269

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LA RELIGION NATURISTE

de Steffens. On se rencontrait le matin devant une toile de Raphaël ou du Titien, ou bien on échangeait par correspondance ses impressions : on terminait ses lettres par une invocation à la Madone sixtine. Gries publiait une série de sonnets, moitié galants, moitié mystiques, où il évoquait avec une amoureuse dévotion les grandes figures de Saintes, chefs-d’œuvre des maîtres italiens. Chacun voulut avoir ses visions, ses extases, ses révélations : des conversions esthétiques se préparaient déjà dans la fameuse « galerie ». devant l’immortel chef-d’œuvre de Raphaël.

Très sérieusement Steffens, quoique protestant, racontait que, lors de sa première visite au musée, la Madone lui était apparue et que depuis cette époque il portait dans son cœur, comme un talisman mystique, cette image ineffable et toujours présente. De Freiberg, où il faisait son apprentissage technique, sous la direction du célèbre Werner, il était accouru un jour à Dresde, pour faire ses dévotions dans le sanctuaire romantique. Après une nuit passée à cheval, harassé de fatigue, enfiévré par l’insomnie, réconforté à la hâte par quelques libations matinales et inaccoutumées, il s’était trouvé tout à coup dans la pénombre des grandes salles, silencieuses et sonores. La vue de tous ces chefs-d’œuvre rassemblés, l’émotion, l’attente de quelque chose d’extraordinaire, le dépaysement, le troublèrent au point qu’arrivé devant la Madone de Raphaël, brusquement, il fondit en larmes, au grand étonnement des autres visiteurs. Il n’y avait là, sur l’instant, qu’un petit incident de voyage, plutôt embarrassant pour celui qui en était le héros involontaire. Tout autre cependant fut l’interprétation qu’il s’en donna après coup : « J’éprouvais distinctement que ce trouble subit tenait à quelque chose de plus profond dans ma vie passée… Tout ce qu’il renfermait ne m’apparut pas d’un seul coup, mais l’impression pénétrante ne s’évanouit jamais entièrement et, comme je m’efforçais, pendant ce séjour à Dresde et au cours d’autres séjours encore, de développer en moi le sens artistique, toujours cette impression