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Page:Spenlé - Novalis.djvu/272

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NOVALIS

à savoir : la science, la morale légale, l’activité pratique sous toutes ses formes. « Les hommes raisonnables et pratiques d’aujourd’hui », disait Schleiermacher, « voilà dans l’état actuel du monde l’élément hostile à la religion. »

Surtout il s’efforcait de séparer nettement la religion de la morale. « Tout peut être fait avec religion », disait-il, « rien ne doit être fait par religion. » Mettre la morale sous l’égide de la religion, c’était, à ses yeux, le principe même du fanatisme. Il ne reculait pas, du moins à cette époque, devant les conséquences les plus hardies d’une pareille affirmation, admettait fort bien le mariage civil, voire même des unions plus libres et moins durables. La religion, pensait-il, ne peut que s’epurer en se dégageant toujours plus du temporel, en se libérant complètement des institutions sociales, politiques ou morales. Il y a là des domaines sans doute voisins, mais pourtant distincts. La religion forme un monde intérieur et spirituel, essentiellement individuel ; elle est une communion toute personnelle avec la conscience créatrice, un état de grâce, un chant intérieur de la vie, un rayon issu des sources les plus secrètes de l’âme, et répandant sur l’existence entière un air de fête, de joie dominicale.

Par l’absolue liberté qu’il laissait à chacun d’interpréter à sa guise cette formule générale, Schleiermacher flattait les aspirations les plus diverses de la nouvelle génération. Frédéric Schlegel voyait là une doctrine de l’affranchissement du cœur, voire même, en forçant un peu le ton, de l’affranchissement de la chair et il proclamait la haute « religiosité » de sa liaison avec la femme du banquier Veit. Il avait écrit un roman informe, Lucinde, qui n’était qu’une apologie dithyrambique et mystique à la fois de la volupté et de l’amour charnel. Quoique par tempérament peu porté à de pareils excès, Schleiermacher défendit courageusement le roman de son ami contre les anathèmes de la morale théologique, reconnaissant, malgré tout, dans l’œuvre incriminée des conclusions qui, corrigées par un examen