Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/290

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
282
NOVALIS

forçaient déjà de préparer certaines influences occultes — « Il dort à présent, cet Ordre redoutable, misérablement relégué aux extrêmes confins de l’Europe ; mais qui sait si de là il ne se répandra pas de nouveau, comme le peuple qui le protège — peut-être sous un autre nom — sur sa terre d’origine ? »[1]

Si c’est aux Jésuites que les loges maçonniques mystiques s’efforçaient de dérober leur organisation secrète, elles puisaient par contre leurs doctrines philosophiques dans les ouvrages apocalyptiques des mystiques et des théosophes illuminés de tous les temps. Une des conceptions les plus généralement admises — et que le premier romantisme s’est entièrement assimilée — c’est que les vérités essentielles, aussi bien dans l’ordre de la nature que dans l’ordre moral, révélées directement par Dieu à l’humanité primitive, se sont transmises à travers les âges par une tradition secrète, à laquelle ont été initiés tous les grands fondateurs de religions. On a vu que Novalis s’était déjà inspiré de cette pensée dans le « Disciple à Saïs ». La même conception se retrouve dans ses « Hymnes à la Nuit » et surtout dans son pamphlet politico-religieux « Europa ». Il y a eu, — ainsi pourrâit-on résumer sa pensée — dans l’histoire religieuse de l’humanité, des époques organisatrices, suivies de périodes de dissolution. Un âge vraiment organisateur a été celui de l’Olympe grec, — auquel succéda bientôt une période d’anarchie, amenée par le rationalisme philosophique. « Le monde antique touchait à son déclin », ainsi lisons-nous dans les Hymnes à la Nuit, « le jardin enchanté de la jeune humanité se flétrit et les hommes, oublieux des rêves de l’enfance, portèrent leurs efforts au loin, à la recherche d’horizons plus vastes. Les dieux disparurent ; la nature se trouva déserte et sans vie ; elle expira, étouffée sous les Nombres inflexibles et emprisonnée dans des chaînes d’airain. Les Lois naquirent. En concepts arides, comme en une poussière emportée par le vent, se décomposa la corolle inson-

  1. N. S. II, 2, p. 408.