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Page:Spenlé - Novalis.djvu/298

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NOVALIS

gion ». De là le sens merveilleux que revêt, à ses yeux, le christianisme, qui apprend à l’homme à jouir même de sa souffrance, de sa maladie et de son péché. La pénitence est pour le croyant une source de voluptés raflinées. Ce qu’il y a de plus attrayant dans le péché, c’est précisément le sentiment de contrition et la flagellation morale qui l’accompagnent. Plus l’homme est pécheur, plus il fournit à la compassion divine d’occasions de se manifester, plus il jouit donc de sa propre religion. « La religion chrétienne est essentiellement la religion de la volupté. Le péché est le plus grand stimulant de l’amour divin. Plus on se sent pécheur, plus on est chrétien. Une union absolue avec la divinité est le but de l’amour comme du péché. Les dithyrambes sont un produit vraiment chrétien. »[1]

De là aussi la signification magnifique du Sacrement, qui, en matérialisant la divinité, en fait pour l’âme croyante un objet immédiat de jouissance surnaturelle. Cette conception mystique du Sacrement, Novalis voudrait l’élargir encore, l’universaliser. « Tout peut se transformer en pain et en vin de la vie éternelle », écrivait-il, c’est-à-dire que toutes les fonctions de la vie corporelle peuvent devenir les symboles d’une vie supérieure, spirituelle et divine. Par cette intuition il interprète le mystère chrétien de la Cène. « La nourriture prise en commun est un acte symbolique de l’union… Toute jouissance, toute assimilation est une nutrition ou plutôt la nutrition n’est autre chose qu’une assimilation. Toute jouissance morale peut donc être exprimée par la nutrition. — L’ami se nourrit à proprement parler de son ami, il en tire sa substance de vie. C’est un véritable trope, que de substituer partout le Corps à l’Esprit, et lorsqu’on célèbre dans un repas la mémoire d’un ami de se figurer, par un effort audacieux et surnaturel de l’imagination, qu’on saisit dans chaque bouchée un peu de sa chair et qu’on boit à chaque gorgée un peu de son sang. Le goût efféminé de notre époque trouve barbare cette pensée — mais

  1. N. S. II, 2, p. 395.