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Page:Spenlé - Novalis.djvu/309

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HENRI D’OFTERDINGEN

dans le goût moderne et français. C’était le tableau moral de toute une époque et de toute une société que l’auteur présentait à ses contemporains ; le problème, qui, à travers les mille méandres et les innombrables digressions, réapparaissait sans cesse et formait la trame continue du récit, n’était rien moins que l’histoire de l’éducation complète d’une âme.

Les « Années d’apprentissage » reçurent des romantiques un accueil enthousiaste. Frédéric Schlegel y saluait, comme dans la Révolution française et dans la Doctrine de la Science de Fichte, un des trois grands événements providentiels du siècle. À force de lire et de relire le livre, Novalis le savait presque entièrement par cœur. Tout lui paraissait admirable. D’abord « cette magie du style, cette caresse insinuante d’une langue polie, agréable, simple et cependant variée dans l’expression. » Et puis quelle maîtrise dans l’art de présenter les choses ! Point d’intrigue fiévreuse, rien qui précipite l’action vers un dénouement impatiemment attendu, qui limite l’intérêt à un moment unique, à une situation, à une figure privilégiées. « La conversation prépare le récit, plus souvent que le récit n’amène la conversation. La peinture des caractères ou les réflexions sur les caractères alternent avec les événements… Les choses les plus ordinaires comme aussi les plus importantes sont traitées et exposées avec une ironie romantique… De là cette merveilleuse ordonnance qui ne tient nul compte du rang ni de la valeur des objets, pour qui il n’y a ni premier ni dernier, rien de petit et rien de grand. » Novalis ne va-t-il pas jusqu’à proclamer éminemment « romantiques » la morale et philosophie du roman ![1]

La première effervescence passée, le jeune enthousiaste tomba bientôt dans l’extrême opposé. Il continua d’admirer — avec bien des réserves — les qualités purement formelles du style et de la composition. Gœthe, dit-il, « est dans ses productions ce que l’Anglais est en affaires : un esprit émi-

  1. N. S. II, 2, p. 421.