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Page:Spenlé - Novalis.djvu/310

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NOVALIS

nemment simple, lucide, accommodant, de tout repos… Comme les Anglais il a d’instinct le sens économique ».[1] Mais comme le fond même de l’œuvre lui est tout à coup devenu antipathique ! « Wilhelm Meister est un Candide dirigé contre la poésie ; le livre manque de poésie au suprême degré, si poétique qu’en soit la forme. Les Années d’apprentissage sont en un certain sens absolument prosaïques et modernes. L’élément romantique y est anéanti, ainsi que la poésie de la Nature et le merveilleux. Le livre ne traite que de choses communes ; la nature et le mysticisme n’y sont pas formulés. C’est une histoire bourgeoise et familiale poétisée ; le merveilleux y est expressément traité de fantasmagorie et de chimère. L’athéisme poétique, voilà l’esprit qui règne dans le livre. »[2] Dans une lettre à Tieck il résumai ! ainsi Son évolution : « Malgré tout ce que j’ai appris dans Wilhelm Meister et ce que j’y apprends encore, au fond je ne trouve pas moins le livre détestable dans son ensemble… Je ne m’explique pas comment j’ai pu être aveugle si longtemps. »[3]

Ces jugements excessifs, avec une grande part d’illusion et île passion, contenaient cependant un fonds de vérité. Sans doute par bien des côtés le roman de Gœthe dépassait et dominait les aspirations fiévreuses de la génération nouvelle. On y lisait une sagesse calme, une maturité d’esprit et de caractère, à laquelle n’atteignaient pas encore les jeunes novateurs. Nulle intuition d’art ne pouvait tenir lieu de cette éducation accomplie, puisque au contraire celle-ci s’attaquait à toutes ces prétendues intuitions, à toutes ces fausses vocations ou vocations incomplètes, pour les éprouver au creuset de l’expérience et de la vie active. Mais il faut reconnaître d’autre part que cette polémique contre le

  1. N. S. II, 1, p. 68.
  2. N. S. II, 1, p. 280 et 357. « C’est au fond un livre néfaste et stupide, — plein de prétention et de préciosité, — prosaïque au suprême degré, pour ce qui est de l’esprit, si poétique qu’en soit la forme. C’est une satire contre la poésie et la religion, etc… »
  3. Holtei, Brief an Tieck, 1861. I, p. 307.