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Page:Spenlé - Novalis.djvu/311

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HENRI D’OFTERDINGEN

faux idéalisme ne frayait pas la voie à un autre idéal bien relevé, ni à des aspirations très neuves.

C’était surtout par ses désillusions que le héros de Gœthe comptait ses progrès ; à chaque pas en avant il se libérait d’une chimère, se corrigeait d’une fausse vocation. Cependant sortait-il réellement grandi de ces « années d’apprentissage » ? L’éducation du jeune bourgeois, le choix de sa carrière et son mariage : à cela se réduisait la pensée directrice du roman. C’était le plan providentiel que machinait mystérieusement une association secrète de philanthropes, sorte de Comité de Salut public moral. La qualité maîtresse du héros c’était sa passivité, sa soumission au plan mystérieux, sa docilité à l’égard de la Providence terrestre qui, de loin, dirigeait les fils de sa destinée, multipliait les avertissements et aplanissait les difficultés sur sa route, La pensée sociale du roman non plus n’était guère novatrice. Une fête splendide, savamment machinée, apparaissait comme l’œuvre la plus digne d’occuper les meilleurs esprits. Le poète se doublait d’un maître des cérémonies : il devait y avoir tout au moins en lui quelque chose du directeur des plaisirs de Weimar. « Il faut élever les garçons pour en faire des serviteurs et les filles pour en faire des mères de famille », ainsi Goethe résumait ses idées d’éducation sociale et on apprenait, dans la seconde partie du roman, que, dans cette mystérieuse association de philanthropes, il s’agissait surtout de fonder une ligue internationale de propriétaires, dont les membres, en face de la révolution menaçante, s’assuraient mutuellement leurs droits et facilitaient l’émigration des éléments mécontents. « Le héros ne fait que retarder l’avènement de l’évangile économique bourgeois », en ces termes Novalis résumait à présent la philosophie du livre.[1]

  1. Le jugement de Novalis sur Wilhelm Meister est devenu peu à peu celui de toute la « droite » romantique. Eichendorff, dans son « Histoire du roman allemand au 18e siècle », le reproduit presque textuellement. Même Frédéric Schlegel inclina peu à peu dans ce sens. Dans ses conférences sur