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Page:Spenlé - Novalis.djvu/317

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HENRI D’OFTERDINGEN

« Celui qui s’adonne à l’art », y était-il dit en propres termes, « doit renoncer à tout ce qu’il est ou à tout ce qu’il pourrait être, en tant qu’homme ». Les personnages du roman professent donc tous un génial mépris pour le travail et les occupations utiles et se découvrent une vocation très prononcée pour l’oisiveté et la vie errante. Seules les professions « romantiques » se trouvent représentées parmi eux : pèlerins, moines, ermites, chevaliers en quête d’aventures, guitaristes ambulants, artistes en rupture d’atelier. De temps en temps ils échangent entre eux les pièces de leur garde-robe, montrant bien par là qu’ils sont tous issus de la même souche.

Cette philosophie romantique du vagabondage et de l’oisiveté se retrouvait du reste, diversement nuancée, chez tous les auteurs de la jeune école. « Les hommes raisonnables et pratiques », ainsi s’exprimait le théologien Schleiermacher, « constituent dans l’état actuel du monde l’élément hostile à la religion ». Et Frédéric Schlegel de renchérir encore : « Le labeur et l’utilité, voilà les anges de mort au glaive de feu, qui interdisent à l’homme la rentrée au paradis… Sous tous les cieux et dans tous les climats le droit à l’oisiveté distingue ce qui est noble de ce qui est vil, c’est le principe indéniable de toute aristocratie… En vérité on ne devrait pas, avec une coupable indifférence, négliger l’étude de l’oisiveté, mais au contraire l’élever au rang d’un art, d’une science, voire même d’une religion ! » — « Jouir » écrivait Novalis, « est vraiment plus distingué que produire », et ces lignes nous livrent un peu le secret de l’impuissance productrice du premier romantisme, même en art.

Cependant si la philosophie de Sternbald a fortement déteint sur le roman de Novalis, il serait injuste de méconnaître que Henri d’Ofterdingen, par la profondeur et la sincérité de l’émotion, par la pensée très consciente, — trop consciente même et trop réfléchie, qui en a guidé la composition, mérite seul de faire pendant au roman de