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Page:Spenlé - Novalis.djvu/325

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HENRI D’OFTERDINGEN

seront donc tout intérieures et mystiques. Très peu d’évènements : un voyage et quelques rencontres. Tout se passe en entretiens, en monologues, en réflexions. Mais chaque rencontre, chaque entretien, établit entre l’âme du héros et l’univers environnant un lien nouveau, ou plutôt lui révèle une région encore ignorée de sa propre âme, car l’univers qui le porte n’est en dernière analyse que la partie de lui-même qu’il ignore encore. À mesure que s’éveille et s’épure chez lui son aspiration nostalgique, sa personnalité s’universalise et le monde du même coup se transforme à ses yeux, « s’intériorise » pour ainsi dire en lui. L’opposition s’efface entre la conscience et les choses, la barrière tombe, qui sépare les êtres et morcelle la vie infinie, la poésie ressuscite au sein des forces brutales et matérielles, l’espace et le temps confondent leurs éléments dispersés.

Ainsi s’affirme l’antithèse que devaient faire, dans l’esprit de Novalis, les années d’apprentissage du poète Henri d’Ofterdingen avec celles du jeune marchand bourgeois Wilhelm Meister. Celui-ci part du rêve — d’un idéal juvénile et chimérique sans doute — pour s’en séparer toujours plus et se rapprocher du monde réel. Il compte ses progrès par ses désillusions. Ses aventures et ses fausses vocations, selon l’expression de Novalis, « ne font que retarder l’avènement de l’évangile économique bourgeois ». L’élément romantique, représenté par Mignon et le Harpiste, apparaît de plus en plus avec un caractère nettement maladif ou pathologique. — Tout à l’inverse Henri d’Ofterdingen partira de la réalité, — d’une réalité, il est vrai, déjà singulièrement imprégnée de mysticité et de poésie — pour s’élever toujours plus haut, par la puissance de la poésie intérieure, dans le monde du rêve et de l’idéal. « Dans Henri d’Ofterdingen », ainsi Novalis résumait la pensée maîtresse de l’œuvre, « se trouve en fin de compte la description détaillée et la transfiguration intérieure du « Gemüt ». Le héros entre dans le pays de Sophie, dans la