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Page:Spenlé - Novalis.djvu/326

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NOVALIS

Nature telle qu’elle pourrait être, dans un monde allégorique. »[1] L’esthéticien Solger à son tour définissait en ces termes le plan philosophique du roman : « À mon sens l’œuvre devait intentionnellement s’ouvrir dans la vie réelle et, à mesure que Henri d’Ofterdingen lui-même s’élevait dans le monde de la poésie, sa vie terrestre à son tour devait s’y perdre de plus en plus. Ce serait ainsi une histoire mystique, le déchirement du voile sous lequel la réalité terrestre et finie dérobe l’Infini — une théophanie, bref un véritable mythe, qui ne se distinguerait des autres mythes que parce qu’il a pris corps, non pas dans l’âme collective d’une nation, mais dans celle d’un individu particulier. »[2]

Le premier chapitre raconte la naissance du poète. Il s’agit ici, bien entendu, d’une naissance « supérieure » et toute spirituelle. À vrai dire ce qu’on appelle communément la naissance est un évènement chronologique fortuit, d’où les hommes ont coutume de dater arbitrairement le commencement de leur existence. — S’agit-il de la naissance corporelle ? Elle a été préparée de longue date dans la trame obscure du Destin. « Vous parliez tout à l’heure de rêves », dit la mère du jeune poète à son mari, « sais-tu bien que tu m’as raconté autrefois un rêve, que tu avais fait à Rome, et qui t’a pour la première fois donné l’idée de venir à Augsbourg et de demander ma main ? » C’est ce rêve qui en réalité a marqué la naissance terrestre du poète : alors la première semence d’amour est tombée dans deux cœurs qui se cherchaient et une destinée nouvelle a tressailli d’un premier frisson de vie. — S’agit-il au contraire d’un moi supérieur, prenant conscience de ses destinées intérieures ? Alors surtout il devient téméraire de vouloir fixer un commencement absolu. À vrai dire nous naissons continuellement et la vie ne fait que nous révéler toujours plus à nous-mêmes. Tout au plus pouvons-nous distinguer quel-

  1. N. S. II, 1, p. 345.
  2. Solger’s Nachgelassene Schriften und Briefwechsel, 1826, I, p. 95.