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Page:Spenlé - Novalis.djvu/328

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NOVALIS

successivement les deux aspects de leur destinée. Quelques « avertis » seulement ont aperçu tout de suite la vie avec son double visage.

À cette initiation douloureuse et nécessaire doit être préparée l’âme du jeune Henri. Un évènement insignifiant en apparence, le départ de la maison paternelle, lui en donne le premier pressentiment. « Avec une tristesse infinie le cœur novice apprend pour la première fois que les choses d’ici-bas passent, ces choses qui paraissaient à l’esprit inexpérimenté si nécessaires, si indispensables, qui se sont mêlées à la substance de sa vie et doivent lui sembler aussi impérissables que cette vie même. Comme un premier message de mort, la première séparation demeure ineffaçable. » Quittant donc la petite ville d’Eisenach et le toit paternel, Henri se rendra avec sa mère à Augsbourg, l’opulente cité de la Souabe, où habite son grand-père paternel, l’hospitalier Schwaning. « Il se vit au seuil d’un monde lointain, où souvent son regard s’était perdu du haut des montagnes et que son imagination lui peignait avec les plus étranges couleurs. Il était sur le point de se plonger dans les flots d’azur. La Fleur merveilleuse se dressait sur son chemin. Il jeta un dernier regard en arrière, vers la Thuringe. Un étrange pressentiment lui disait qu’après de longues pérégrinations, des contrées inconnues, où il se dirigeait à présent, il reviendrait un jour au pays natal et qu’ainsi son départ même l’y ramenait déjà. »[1]

La caravane se compose de commerçants, gens simples et observateurs, qui ont beaucoup vu et voyagé et représentent comme une première étape vers la fusion romantique des races et des pays. Ils commencent par faire à leur jeune compagnon un tableau enchanteur de la Souabe, pays ensoleillé, où mûrit un vin généreux, où fleurit la poésie, où les femmes sont belles et chastes. « Sans doute sous le doux soleil de l’Allemagne du Sud votre caractère

  1. Allusion au Tournoi des chanteurs à la Wartburg, auquel Henri d’Ofterdingen devait prendre part, dans la seconde partie du roman.