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Page:Spenlé - Novalis.djvu/341

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HENRI D’OFTERDINGEN

terrestre a exprimé toute sa poésie. L’enfant idéal de Henri et de Mathilde — Astralis —, symbole poétique de leurs cœurs unis et de leur amour éternel, est né dans l’éblouissement de cette extase. « N’étiez-vous pas présents », lisons-nous dans le Prologue qui ouvre la seconde partie du roman et qui est placé dans la bouche d’Astralis, « le soir de fête où, dans un rêve et comme un somnambule, je me rencontrai pour la première fois moi-même ? N’avez-vous pas été saisis d’un doux frisson, lorsque brilla l’étincelle ?… Alors la première semence tomba dans la fissure : rappelez-vous le baiser après table. Je fus refoulé sur moi-même ; l’espace d’un éclair — et déjà je pouvais me mouvoir, agiter le calice et les fibres délicates et, comme à peine je commençais ma propre destinée, les pensées cristallisèrent rapides en une organisation terrestre. » De ces vers on pourrait rapprocher un passage célèbre de la « Métaphysique de l’amour sexuel » de Schopenhauer, où celui-ci décrit en termes analogues le mystère métaphysique de la naissance terrestre. « La sympathie grandissante du couple », dit-il, « est à proprement parler déjà la volonté de vivre du nouvel individu, que les deux amants peuvent et veulent procréer. Oui, déjà dans la première rencontre furtive de leurs regards fervents s’allume le flambeau de cette existence nouvelle, qui s’annonce comme une individualité virtuelle, harmonieusement combinée. Les amants ressentent le désir nostalgique de s’unir et de fondre intégralement leur être isolé en un être commun, afin de ne plus vivre ensuite que par celui-ci, et cette aspiration reçoit son exaucement dans l’enfant qu’ils ont procréé et par qui se perpétuent les caractères héréditaires du couple, fondus et combinés. »[1]

Et avec cette manifestation visible de l’amour, ajoute le poète romantique, les destinées du couple terrestre se trouvent accomplies. L’amour ne pourrait plus que se répéter ou déchoir, s’il n’entrait dès à présent dans une

  1. Schopenhauers Werke, Edit Reclam II, pp. 629-630.