Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/344

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
336
NOVALIS

Comme les Anglais il a d’instinct le sens économique. » Pareillement Klingsohr ne cesse, de prêcher l’ordre, la mesure et « l’économie » à son jeune compagnon. « Si vous vous confiez à mes soins, vous ne passerez pas une journée sans vous être enrichi de quelques connaissances utiles. » Surtout il le met en garde contre un idéalisme exalté. « Le jeune poète, ne saurait avoir trop de sang-froid et de calme… L’inspiration sans intelligence pratique est nuisible et dangereuse, et le poète fera peu de merveilles, si lui même s’émerveille encore de tout. »

Est-ce à dire qu’il faille lire dans ces conseils si sensés, mais un peu prosaïques, la pensée de Novalis lui-même ? Les enseignements de Klingsohr rappellent ceux que, dans le roman de Tieck, donne au jeune peintre Sternbald, tout enivré par l’adoration mystique de son art, le vieux Lucas de Leyde, le maître expérimenté, sûr, méthodique, impeccable, mais un peu étroit d’esprit. « Vos hésitations », dit-il au jeune enthousiaste, « votre trop grande vénération de l’objet sont, à mon avis, « quelque chose de contraire à l’art : car du moment qu’on veut être peintre, encore faut-il peindre vraiment, commencer et finir quelque chose. Aussi bien ne pouvez-vous transporter vos extases sur la toile. »

Il y a donc pour le poète, même romantique, un apprentissage technique, auquel il lui faut se soumettre résolument. Si grande que l’on fasse la part de l’inspiration, il n’en reste pas moins toujours un abîme entre rêver un poème et l’écrire. Et puis les heures d’inspiration sont intermittentes et fugitives et, même chez le grand artiste, elles risquent de s’évanouir, de s’évaporer, sans rien laisser après elles, — si à ces dons géniaux ne s’ajoute une activité constructrice, un effort méthodique qui les utilise. « Il y a », avoue Henri d’Ofterdingen, « un charme tout particulièrement réconfortant dans le sentiment de son savoir-faire ; il nous procure vraiment une joie plus durable, plus précise, que tous ces sentiments débordants,