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Page:Spenlé - Novalis.djvu/345

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HENRI D’OFTERDINGEN

d’une inconcevable et chimérique splendeur. » Ainsi toute la sagesse que Novalis s’est lentement acquise par la lecture approfondie de Wilhelm Meister, il la met dans la bouche de Klingsohr. Celui-ci représente bien l’activité méthodique et réfléchie, le « sens économique » dans l’art, cet ingrédient d’irréductible « prose », sans lequel la poésie n’arriverait jamais à se fixer en une organisation viable et résistante. Mais les sources supérieures d’enthousiasme, Klingsohr ne saurait les révéler, et, aussitôt son cours d’esthétique terminé, il cède la place à sa gracieuse fille qui, elle, sera la véritable Muse du poète. Une fois encore Klingsohr reparaît : pour raconter, au soir des fiançailles, l’histoire des amours d’Éros et de Freya, dans le « Mærchen », que nous avons analysé ailleurs.[1] L’union de Henri et de Mathilde devient ainsi un cas particulier de l’universelle loi d’amour ; le couple romantique est une simple variante du couple cosmique, Éros et Freya, qui prépare l’universel apaisement dans la nature. Si on se rappelle combien ce hors-d’œuvre féerique a été inspiré par le « Mærchen » de Gœthe, on trouvera une raison nouvelle de reconnaître dans Klingsohr les traits idéalisés du grand poète classique.

La seconde partie du roman se trouve à peine ébauchée. La maladie a paralysé la main de l’auteur, alors qu’il commençait à peine à rédiger les premiers feuillets. Quelques fragments obscurs, quelques indications incohérentes et parfois même contradictoires, c’est tout ce que nous possédons de l’œuvre projetée. Tieck songea-t-il sérieusement à se substituer à Novalis et, utilisant les nombreuses confidences qu’il avait reçues de celui-ci, à mener à terme l’œuvre si brusquement interrompue ? C’est ce qui semblerait ressortir de la correspondance de Frédéric Schlegel, lequel frémit du reste à la seule pensée d’un pareil « sacrilège ». — « Mon frère te dira », écrit-il à Schleiermacher, « combien m’a révolté votre manière d’agir avec les écrits posthumes

  1. Voir plus haut p. 217 « Le conte cabalistique de Klingsohr ».