Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
339
HENRI D’OFTERDINGEN

munes entre le jour et la nuit, entre la vie et la mort, entre le rêve et la réalité.

Dans une forêt ténébreuse, un jeune pèlerin s’avance, perdu dans ses pensées, le visage assombri, pareil à « une fleur des nuits ». C’est Henri d’Ofterdingen. Une transformation profonde s’est opérée en lui. Comme Novalis après la mort de Sophie, il vient d’être initié à l’empire de « la sainte, de la mystérieuse, de l’inexprimable Nuit ». La mort, n’oppose plus à ses regards une barrière impénétrable ; il marche sur la limite des deux mondes et une sagesse surnaturelle a fleuri dans son âme. Il y a plus qu’une simple fiction poétique dans la vision qu’il raconte, lorsque soudain, dans un rayon de lumière, se découvre à lui un coin du séjour céleste où l’ont précédé les êtres aimés. On se rappelle la vision ou, plus exactement, l’attaque extatique au cimetière de Grüningen, racontée dans le troisième Hymne à la Nuit. Le visionnaire, à la fin du 18me siècle, était à l’ordre du jour. On lisait avec enthousiasme les visions séraphiques de Swedenborg. « Parfois », raconte Jung Stilling, « mon esprit embrasse d’un coup d’œil unique un tableau, qui s’évanouit au moment même où il se présente ; il me semble alors apercevoir une petite partie du ciel nouveau et de la terre nouvelle ». Ce sont, dit-il, « des paysages qu’aucune expression ne peut rendre ». Il insiste fortement sur la réalité psychologique du phénomène, qu’il sait fort bien distinguer d’une simple rêverie. « Je sais ce que c’est, mais je ne puis le dire à l’oreille que de mes amis les plus intimes, de ceux qui me connaissent entièrement. »[1]

Mais l’ineffable vision s’est évanouie de nouveau et le pèlerin se trouverait replongé plus profondément que jamais dans les ténèbres du doute et du désespoir si tout à coup, au tournant du chemin, il ne voyait apparaître une jeune fille, Cyané, la fille du comte de Hohenzollern, première hypostase de Mathilde. C’est elle qui lui révélera la loi mystérieuse de la naissance et de la mort, l’universelle palin-

  1. Joh. Heinr. Jung’s Lebensgeschichte. — Ed Reclam. p 261.