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Page:Spenlé - Novalis.djvu/348

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NOVALIS

génésie. Cette doctrine était fort en honneur au 18me siècle ; elle avait rallié les suffrages de littérateurs tels que Jean Paul, de prédicateurs tels que Herder, de philosophes comme Fichte, et même de certains naturalistes comme Bonnet. Elle constituait une des parties importantes de l’initiation dans la plupart des sectes mystiques, maçonniques ou théosophiques. La même conception se trouve esquissée dans un grand nombre de fragments de Novalis. Il y a dans l’homme, d’après celui-ci, un « Ego » plus profond que son individualité consciente et qui ne parvient à se manifester intégralement que par des incarnations multiples, par une série d’existences successives. « Cette insuffisance manifeste de la forme corporelle et terrestre », dit-il, « pour exprimer et organiser l’Esprit qui habite en elle, c’est la pensée obscure qui nous fait vivre, qui devient le fondement de toutes nos pensées véritables. Elle est le point de départ de notre évolution comme Intelligences ; c’est elle qui nous oblige à admettre un monde des Intelligibles et une série infinie d’expressions et d’organisations pour chaque Esprit, dont l’individualité actuelle est chaque fois l’exposant ou la racine. »[1] Ces incarnations multiples constituent ainsi une véritable série individuelle d’existences, comme les rêves successifs d’une même Essence indestructible.

Ce n’est pas tout. Parmi ces Esprits qui progressent sans cesse, il y a quelques grandes familles spirituelles, qui évoluent simultanément et dont les membres, unis par une parenté secrète, plus profonde et plus essentielle que celle de la consanguinité physique, se retrouvent et parfois même se reconnaissent aux diverses étapes qu’ils parcourent ensemble. Souvent cette reconnaissance se borne à une réminiscence confuse ou à un obscur pressentiment. Dans l’amour surtout elle se manifeste par les couples prédestinés. Mais, même ignorée, elle n’en oriente pas moins les impulsions profondes de la vie et imprime aux cœurs qu’elle rassemble le cachet d’une électivité mystique, d’une véritable

  1. N. S. II, 1, p. 28.