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Page:Spenlé - Novalis.djvu/352

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NOVALIS

différentes scènes se passant à la cour de l’empereur Frédéric II. »[1] S’il faut en croire Tieck, l’auteur aurait voulu, dans l’épisode du Tournoi, mettre aux prises la religion et l’irréligion, l’esprit romantique et l’esprit rationaliste moderne. « Dans un accès d’enthousiasme orgiaque les poètes se jettent un défi et mettent leur vie comme enjeu. » Il y aurait eu là assurément un intermède fort dramatique : mais c’est précisément le sens dramatique qui faisait complètement défaut à Novalis. Tout au moins cet épisode farouche aurait-il singulièrement détonné, dans une œuvre où tout s’était passé, jusqu’à présent, en rêves, en méditations et en entretiens. — Il en est sans doute de même de la légende d’Orphée mis en pièces par les Bacchantes, que Novalis songea un instant à intercaler dans son roman, en substituant Henri d’Ofterdingen au chantre grec et Mathilde à Eurydice. Dans une œuvre à peine ébauchée, il est impossible d’attribuer une valeur définitive à quelques pierres d’attente. à quelques jetons provisoires qui n’ont d’autre rôle que de tenir l’esprit en éveil et de stimuler le travail d’invention. Tout au plus peut-on deviner les quelques grandes lignes abstraites de la charpente philosophique.

Une de ces pensées directrices, avons-nous vu, semble avoir été la fusion dans Henri d’Ofterdingen de toutes les époques, de toutes les civilisations et de toutes les mythologies du passé. Ce fut là, peut-on dire, une des idées-fixes du romantisme allemand. Car celui-ci, en dépit de sa philosophie intuitionniste et géniale, fut surtout, dans la littérature, un mouvement de critique et d’érudition. Son esthétique, sa production artistique prit de plus en plus un caractère essentiellement artificiel et livresque. Il manque aux auteurs de cette génération le contact direct de l’objet, de la réalité : ils en ont le pressentiment, ils en étudient le reflet dans l’esprit d’un autre artiste, d’une autre époque. Ils voient la nature à travers Bœhme et les théosophes, le cœur et les passions à travers Shakespeare, Calderon ou Gœthe,

  1. N. S. I, p. 199 et 200.