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Page:Spenlé - Novalis.djvu/365

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HENRI D’OFTERDINGEN

portance. »[1] Ailleurs il appelle le langage : « un instrument musical pour produire des idées (ein musikalisches Ideen-Instrument). »

À quelque page qu’on ouvre le Disciple à Saïs ou Henri d’Ofterdingen, on sera également frappé de l’extraordinaire transparence de l’expression et aussi de l’impossibilité où on se trouve de la « comprendre », dans le sens ordinaire du mot, c’est-à-dire de la résoudre en une pensée précise, en une vision claire et distincte. C’est qu’en effet on se trouve en présence moins d’une page de littérature proprement dite que d’une partition musicale, transcrite en mots et eu pensées, et c’est déjà presqu’un contre-sens artistique que de vouloir la comprendre entièrement. Qu’on analyse la phrase : elle est presqu’inorganique, d’une syntaxe élémentaire. Point de charpente logique, aucun effort pour distribuer la pensée, pour en faire saisir successivement les aspects multiples. Les attaches sont très lâches, le verbe est le plus souvent atone. Il semble que le langage veuille se dépouiller de tout élément intellectuel et logique pour n’agir plus que par une sorte de rayonnement diffus et comme par un enveloppement magique. Point d’effort descriptif non plus : les teintes sont fuyantes, le dessin reste insaisissable, le pittoresque est purement intérieur et musical. Quelques images s’ébauchent de-ci de-là, pareilles à ces visions fantomatiques et illusoires qu’on croit percevoir dans le jeu des nuages ou sur les surfaces faiblement brillantes, toujours prêtes à se fondre et à s’évanouir dans l’élément amorphe, d’où elles ne réussissent pas à se détacher nettement. « Des états d’âme » — lisons-nous dans un fragment — « des émotions indistinctes, des sensations et affections indéfinies rendent heureux. On se sentira bien à son aise, lorsqu’on ne distinguera en soi aucun penchant particulier, aucune série déterminée de pensées ou de sentiments. Cet état n’est susceptible, comme la lumière, que de degrés de clarté ou d’obscurité… De la conscience

  1. N. S. II, 2, p. 328 et 208.