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Page:Spenlé - Novalis.djvu/371

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ÉPILOGUE

surfait la première, ou plutôt ils l’ont très intentionnellement confondue avec la seconde. Il importait en effet pour eux que leur art, qu’ils sentaient malgré tout bien artificiel par certains côtés, parût plonger dans la vie elle-même et pût revendiquer lui aussi ses enthousiastes, ses apôtres et en une certaine mesure ses martyrs. Dans cette attitude d’illuminé, d’apôtre, presque de martyr ils ont fixé le souvenir du jeune poète. Et n’avait-il pas du reste lui-même contribué à répandre cette légende dans ses Hymnes à la Nuit et dans son Journal poétique ? Mais ce fut là chez lui une attitude purement poétique et théorique. Dans la vie quotidienne il resta un bon vivant qui, en fait de morale, ne pratiqua guère que celle du bon plaisir. Nature essentiellement voluptueuse et passive, placé par sa naissance dans un milieu privilégié et trouvant toutes les voies aplanies devant lui, il ne connut de l’existence que les crises sentimentales de la jeunesse et n’entra en conflit avec aucune puissance traditionnelle. Il réalisa ainsi dans la littérature le type du sensitif raffiné et maladif, du jouisseur intellectuel et mystique, tel qu’il se rencontrait fréquemment dans la société aristocratique et piétiste du temps.

Mais, par un phénomène étrange de dédoublement, on a vu chez Novalis une seconde personnalité imaginaire se développer au-dessus de la première. Ce dédoublement particulièrement intense et fiévreux de la personnalité semble avoir été préparé chez lui par des dispositions biologiques profondes, qui se sont révélées, sous leur aspect mental, par une sorte de désappropriation imaginative et presque délirante de la vie instinctive. Le désir au lieu de s’affirmer fortement au dehors, se détache peu à peu de son objet réel ; il le « brûle » en quelque sorte dans ses propres flammes et dans l’exaltation délirante qui accompagne cette immolation illusoire il trouve ses voluptés les plus raffinées. Là est le nerf caché de cette frénésie idéaliste, de cette démence mystique, qui est un des traits fondamentaux de la physionomie morale du poète. — Cependant chez cette indi-