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Page:Spenlé - Novalis.djvu/373

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ÉPILOGUE

plus audacieuses ou avec les plus subtiles abstractions de la métaphysique. Mais de ce travail vertigineux ne sort le plus souvent rien de durable. Il semble que les rouages de la pensée tournent à vide, parce qu’il leur manque ce cran d’arrêt, qui est aussi un cran de sûreté, et qui s’appelle le sens du réel, le contact direct avec le monde, avec les intérêts objectifs et matériels de la vie.

Toute la philosophie de Novalis, si on la debarrasse de sa gangue scolastique, n’a été en somme qu’un plaidoyer brillant en faveur d’un arbitraire illimité. Fort de cet arbitrage, qu’il croyait découvrir à l’origine de toute activité humaine, il a passionnément revendiqué le droit absolu à l’illusion poétique et il a proclamé cette illusion artistique préférable à toute vérité et à toute réalité. Déjà pendant cette crise morale, qui a inspiré le Journal de l’année 1797, on a vu se développer chez lui avec une rare intensité ses facultés d’auto-suggestion et d’illusion volontaire. Novalis a voulu croire à la poésie, comme le mystique croit à ses visions, comme le religieux croit à une révélation surnaturelle. Toute son énergie de penseur et toute son imagination d’artiste il les a employées à justifier cette loi poétique, à l’enraciner dans son esprit. À ce titre il peut passer pour le représentant le plus conséquent et peut-être le plus sincère de l’idéalisme romantique celui qui en a le plus résolument développé les paradoxes, jusqu’en leurs extrêmes conséquences. « La poésie — disait-il — est le Réel absolu. Tel est le noyau de ma philosophie. Plus il y a de poésie, plus il y a de vérité. »

Que fut chez lui cette poésie, et par quelle faculté maîtresse pourrait-on la définir ? Elle plongeait par ses racines profondes non dans le monde réel, objectif et plastique, mais dans la vie du rêve et des sensations organiques. Ce qu’il s’était attaché à rendre, avec parfois une rare virtuosité, ce sont les visions kaléidoscopiques et fantastiques du rêve, toutes les créations mentales, illusoires et fugaces, tout le pittoresque intérieur et la modulation infinie de la