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Page:Spenlé - Novalis.djvu/374

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NOVALIS

vie organique, — ce sont aussi les affections fondamentales et les intuitions primaires, qui déterminent instantanément la manière dont chaque être sent son existence, en même temps que les rapports élémentaires de sympathie ou d’antipathie qu’il soutient avec l’ensemble des êtres et des choses, — bref tout le pathétique intime de la vie. Il semble que la maladie ait encore contribué à affiner chez lui ce sens organique et divinatoire de la vie, si proche parent, par un autre côté, du sens de la volupté et du sentiment religieux mystique, — qu’elle lui ait révélé des « latences » inconnues, tandis que certaines dispositions psychologiques exceptionnelles, voisines de l’extase somnambulique, lui permettaient d’étendre au delà des zones normales ce mode organique de sentir et d’imaginer. Plus que tout autre il a exploré ces régions ténébreuses et parfois morbides du « Gemüt » romantique, auxquelles on pourrait appliquer les vers du prologue de Henri d’Ofterdingen : « La tristesse et la volupté, la mort et la vie se confondent ici dans une étroite sympathie. »

Quelle formule d’art répondait, le mieux à ces dispositions intimes ? D’instinct Novalis s’est détourné du théâtre, sentant bien qu’une œuvre dramatique ne se soutient à la longue que par un sens très aigu de la vie active et de la réalité. La formule d’art qu’il a esquissée dans son Henri d’Ofterdingen était-elle un genre vraiment viable ? Le vice secret de l’œuvre nous est apparu dès la conception première : C’est un « roman de réflexion », né d’une rumination philosophique solitaire, — une « théorie » métaphysique et schématique du roman, plutôt qu’un roman réel et vivant. Un métaphysicien et un poète lyrique ont successivement pris la plume pour écrire cette œuvre ; ils ont juxtaposé bout-à-bout leurs improvisations, leurs « bouts rimés », mais sans réussir à les souder organiquement ; bien plus, — à mesure qu’ils avançaient dans la composition il semble qu’ils se soient de moins en moins pénétrés l’un l’autre et qu’ils aient parlé chacun un langage différent, inintelligi-