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Page:Spenlé - Novalis.djvu/376

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NOVALIS

sentimental ni le lyrisme philosophique ne pouvaient dissimuler ce manque organique de vitalité intime.

Mais on pourrait se demander si cette contradiction ne tenait pas surtout à la forme d’art choisie par le poète et à une sorte de méprise initiale sur les moyens d’expression dont il disposait. Cet art romantique « absolu » qu’il rêvait, pouvait-il être réalisé par les seules ressources de la littérature ? Le langage n’est-il pas déjà, par définition, une expression artificielle et réfléchie de la vie intérieure, une adaptation conventionnelle de la pensée individuelle à la pensée sociale et aux réalités communes ? Seule la musique pouvait réaliser, ou tout au moins rendre réalisable l’idéal artistique du premier romantisme. Seule en effet celle-ci peut saisir la vie dans les régions obscures de la spontanéité instinctive, où elle n’est pas encore parvenue jusqu’à la conscience distincte du monde extérieur, jusqu’à la réflexion consciente et individuelle sur elle-même. Seule aussi elle peut replonger, par un véritable ensorcellement, l’homme de culture moderne dans cet état de croyance féerique, où l’âme se prête au rêve sans entrer en un conflit conscient avec les puissances du monde réel, avec les volontés étrangères. Indépendante du monde extérieur, elle évoque elle-même son propre monde et ce monde peut se résumer en quelques symboles très simples, en quelques affections fondamentales et presque anonymes de joie ou de tristesse, d’espérance ou de crainte, de courage ou d’abattement, — insuffisantes certes pour soutenir l’intérêt d’une œuvre exclusivement littéraire, mais à qui elle sait, par ses propres ressources, communiquer un pathétique inépuisable. À une esthétique musicale nouvelle devait donc aboutir tout le mouvement de rénovation artistique qu’avait entrepris le premier romantisme. Là est le secret de cette « poésie de l’avenir », de cette œuvre d’art future, synthétique, religieuse et symboliste, que Novalis annonçait prophétiquement.

Ainsi se définit en même temps la valeur documentaire