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Page:Spenlé - Novalis.djvu/399

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LES COURANTS D’OPINION

été empruntés aux romans de Jean Paul, à ce type romantique du jeune phtisique philosophe, de l’« homme haut » ou du « désincarné sublime », dont Novalis tout le premier avait subi la fascination et que très consciemment il s’efforçait de reproduire dans son Journal poétique et dans ses Hymnes à la Nuit. Du vivant même du jeune poète on se plaisait déjà à lui faire jouer ce personnage poétique. « Je pense fonder une religion » — lui écrivait Frédéric Schlegel — ou tout au moins aider à l’annoncer. Peut-être as-tu plus de dispositions pour le rôle de Christ nouveau, qui trouvera en moi son vaillant St-Paul » (Raich, Novalis Briefwechsel, Mainz, 1880, p. 84 s.). Lorsque Novalis mourut en pleine jeunesse cette image du « Christ romantique » se présenta tout naturellement à l’esprit de ses amis et, par une sorte de conspiration tacite, ils s’efforcèrent de la faire accepter du grand public.

C’est d’abord Schleiermacher qui, en juillet 1802, envoie à son amie Eléonore Grünow le Henri d’Ofterdingen de Novalis, avec un commentaire approprié. « Certes — conclut-il — Hardenberg serait devenu un très grand artiste s’il nous était resté plus longtemps. Mais cela n’était pas à souhaiter. Moins encore sa destinée que le fond même de sa nature faisaient de lui ici-bas une personnalité tragique (eine tragische Person), un initié à la mort. Et ainsi sa destinée même se trouvait en rapport avec sa personnalité… » (Aus Schleiermachers Leben in Briefen, Berlin, 1858. — I, p. 324 s.). Lorsque parut en 1806 la seconde édition des « Discours sur la Religion » le théologien romantique y intercalait l’épitaphe du défunt et gravait sur le frontispice du Temple nouveau, à côté du nom de Spinoza, celui du « divin jeune homme, trop tôt arraché à la vie, pour qui se changeait en art tout ce qu’effleurait le vol de sa pensée, pour qui l’univers se transfigurait en un vaste poème et qui, après avoir à peine préludé confusément sur sa lyre, mérite cependant déjà d’être rangé parmi les poètes les plus accomplis parmi les rares élus, dont la pensée est aussi profonde que lim-