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Page:Spenlé - Novalis.djvu/406

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NOVALIS DEVANT LA CRITIQUE

Il est curieux de voir même des hommes qui avaient connu Novalis dans la vie réelle, céder à cet entraînement et modifier leurs souvenirs par un travail inconscient d’imagination rétro-active. Ainsi Steffens, qui avait rencontré le jeune poète à Iéna et à Freiberg en 1798 et 1799, en avait reçu d’abord une impression presque défavorable. « C’est un homme de beaucoup d’esprit — écrivait-il alors ; — mais il m’a confirmé dans l’idée que même les hommes d’esprit d’aujourd’hui ont peu de compréhension pour une méthode rigoureuse et scientifique… Sa manière de penser semble aboutir à cette forme d’esprit incohérente, qui cherche à surprendre la nature par des traits d’esprit et qui finalement amalgame pêle-mêle ces boutades et ces saillies — bref du schlegelianisme en matière de sciences naturelles » (Plitt, Aus Schellings Leben, 1864, I, p. 277). Tout autre nous apparaît le Novalis de ses Mémoires, écrits 40 ans plus tard. « Son extérieur faisait songer du premier coup à ces images pieuses de chrétiens, si simples et si naïves… Peu d’hommes ont fait sur moi une impression si profonde et si persistante… On ne peut l’appeler un mystique dans le sens habituel, car les mystiques cherchent derrière le monde sensible, qui les emprisonne, un mystère plus profond, le sanctuaire caché de la liberté, de l’activité spirituelle. Mais lui, il vivait dans ce lieu secret comme dans une réalité familière et lumineuse, d’où son regard plongeait dans le monde sensible et dans ses relations externes. J’ai connu plus tard des hommes qui subissaient entièrement son ascendant, des hommes qui s’adonnaient à des occupations toutes pratiques, des savants empiriques de toute espèce, mais qui avaient le respect du mystère spirituel de l’existence et qui croyaient découvrir dans ses écrits un trésor caché. Comme des oracles merveilleux et prophétiques ils lisaient les fragments poétiques et religieux de Novalis et s’édifiaient par cette lecture, ainsi que font les croyants en lisant la Bible » (Heinr. Steffens, Was ich erlebte, Breslau, 1841, IV, p. 390 s.). Reconnaîtrait-on encore dans ces lignes l’« homme