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Page:Spenlé - Novalis.djvu/407

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LES COURANTS D’OPINION

d’esprit » dont les premières lettres esquissaient le portrait et ce « schlegelianisme en matière de sciences naturelles » dont l’auteur parlait alors si dédaigneusement ? Mais aussi comme nous voici loin de cette « méthode rigoureuse et scientifique » que revendiquait hautement alors le jeune étudiant ! Comme le contraste entre ces deux portraits et ces deux jugements montre bien le chemin parcouru en 40 ans par la pensée romantique !

Ainsi la « légende » romantique de Novalis, préparée dans les cénacles romantiques, présentée au public par les écrits à peu près contemporains de Schleiermacher, dans les Conférences littéraires d’Adam Müller, dans l’Europa de Frédéric Schlegel et surtout dans les préfaces, écrites par Tieck en tête de l’édition des Œuvres du poète, est fixée dans ses grandes lignes et elle a contribué, plus peut-être encore que la valeur intrinsèque des écrits eux-mêmes à attirer sur l’auteur l’attention d’un certain public. Novalis devint une sorte de « thème » favori, que chacun interprétait selon ses aspirations particulières, sur lequel chacun brodait des variations innombrables. Précisément le caractère fragmentaire, incohérent, parfois contradictoire de ses écrits le désignait particulièrement pour jouer ce rôle d’oracle : on s’attachait moins au texte lui-même, au sens matériel de l’œuvre qu’à cette doctrine inexprimée, à cette grande pensée cachée, qui semblait transparaître sous les hiéroglyphes obscurs.

Cependant, dès le début, certains auteurs ont formulé des réserves. Dans sa « Vorschule der Aesthetik », parue en 1804, Jean-Paul Richter élève des doutes sur les capacités productives de Novalis. Il voit en lui un de ces « nihilistes poétiques », un de ces « génies passifs » ou, comme il dit encore, un « de ces androgynes qui lorsqu’ils conçoivent s’imaginent procréer ». Ce sont assurément des esprits supérieurs ; ils ont plus que du talent et moins que du génie ; ils ne produisent que s’ils sont fécondés par un autre esprit. — Schelling non plus ne se sentait pas une grande sympa-