Aller au contenu

Page:Spenlé - Novalis.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
75
UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

une maladie du sens religieux, se traduisant par un besoin fiévreux de voluptés spirituelles, de sensations morales exaltées, de surnaturel et de merveilleux psychologique. Le physicien romantique Schubert raconte qu’étant étudiant à l’université de Leipzig il s’était astreint, par économie autant que par goût, à un régime d’anachorète. Ne se nourrissant que de pain et de lait, il s’efforcait même de rester des journées entières sans manger et finalement, il voulut se déshabituer complètement du sommeil. Ce régime étrange avait développé en lui un état d’exaltation fiévreuse, qui le comblait de joie et d’orgueil. « La fièvre », disait-il, « peut développer en nous des énergies où n’atteint guère la santé normale. Je ne puis décrire par des mots ce qui se passait en moi : il me semblait qu’une force s’était soudain éveillée au-dedans de moi et venait au-devant de tous mes désirs ; le brouillard de ma tristesse s’était dissipé tout d’un coup ; je me sentais une force et une joie spirituelles comme je n’en ai jamais ressenties dans ma vie. »[1] La vue d’une fleur le met en extase, la nouvelle de la mort d’un parent lointain, presque d’un inconnu, l’affecte extraordinairement et le plonge dans un deuil plein de noblesse. Pour rien au monde il ne voudrait sortir de cette hyperesthésie morale suraiguë. « Je considérais mon état, en quelque sorte fiévreux, comme un trésor inestimable ; j’employais toutes mes forces à m’y maintenir. » La lecture des romans de Jean Paul, des Nuits de Young, des Odes de Klopstock lui aide à entretenir en lui cette température d’âme. Cela dura quelques semaines. Et puis, un beau jour, toute cette fièvre tomba : « mon enthousiasme apparent avait été comme balayé ». Que s’était-il passé ? Il était simplement rentré chez ses parents en vacances. « La bonne cuisine bourgeoise de ma brave mère, — dont j’avais été si longtemps privé, — le commerce avec les membres de ma famille, gens calmes et sen-

  1. Schubert. — Der Erwerb aus einem vergangenen und die Erwartungen von einem zukunftigen Leben. (Selbstbiographie), Erlangen, 1854, Tome I, p. 321.