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Page:Spenlé - Novalis.djvu/98

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NOVALIS

avoir le cœur net. Elle monta : mais, arrivée au seuil, quel ne fut pas son effroi, lorsqu’elle crut distinguer la morte étendue sur le lit comme à sa dernière heure ! Novalis avait déplié une robe de Sophie : au chevet du lit il avait déposé un petit bonnet que celle-ci portait souvent et un petit livre dans lequel elle avait coutume de lire dans les derniers temps de sa maladie.[1] Il semble que la physionomie même du poète se soit modifiée sous l’empire de ces préoccupations mystiques. « Hardenberg a été quelques jours chez nous », écrit Frédéric Schlegel à son retour de Berlin, après une absence de près de deux ans : « il s’est notablement modifié ; son visage s’est allongé et se dresse comme la fiancée de Corinthe au-desus de la couche terrestre. De plus il a tout à fait le regard d’un visionnaire, avec un éclat terne et fixe. »[2] C’est aussi l’impression de Dorothée Veit. « Il a l’air d’un visionnaire », dit-elle, « et il a des façons qui lui sont tout à fait particulières ». Dans une autre lettre elle ajoute : « Il a pris depuis peu des manières singulières et, d’après ce qu’on raconte par ici, c’est tout à fait étrange. »[3]

Cependant fut-ce impuissance à produire complètement l’hallucination, l’évocation extérieure, ou plutôt fut-ce par suite du dédain qu’affectent les mystiques et les théosophes, les visionnaires du monde intérieur, à l’endroit des spirites, réalistes grossiers, qui demandent à voir par les yeux de la chair, incapables de percevoir plus subtilement avec les yeux de l’esprit ? Toujours est-il que

  1. Il s’enfermait fréquemment avec la gouvernante de Sophie, Jeannette Danscours, personne un peu bizarre et exaltée. La vieille fille et le jeune rêveur se montaient réciproquement la tête. À différentes reprises Novalis note dans son Journal des « troubles » ou des « émotions » qui se produiraient au cours de ces singuliers tête-à-tête.
  2. Aus Schleiermachers Leben, Berlin, 1861. Tome III, p. 77.
  3. Ibid., p. 130 et 132. À ce témoignage on peut ajouter celui de Guillaume Schlegel. « Parmi mes amis », écrit-il dans ses œuvres publiées en français. « Novalis, penseur audacieux, rêveur divinatoire, à la fin visionnaire, se donna tout de bon à la foi chrétienne… etc. » Voir Guillaume de Schlegel. Œuvres écrites en français, publiées par Bœking, Leipzig, 1846. — Tome I, p. 191.