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Page:Stendhal - Pensées, II, 1931, éd. Martineau.djvu/124

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filosofia nova

sion lui a ordonné de considérer bien des choses qui n’ont été connues que par les têtes obéissantes à des passions aussi fortes.

Plus une passion devient forte, plus elle a été éprouvée rarement. Si par exemple je prends l’amour le plus fou qui ait jamais existé pour unité, si je trouve mille personnes qui l’éprouvent aujourd’hui (dimanche 5 messidor XII) à Paris au degré 5/10, je n’en trouverai que six cents qui l’éprouvent au degré 6/10 et probablement pas un qui l’éprouve au degré 10/10.

La majeure partie des hommes ont la folie de croire qu’ils ont éprouvé tout ce qu’on peut sentir. Par conséquent si un homme qui n’a éprouvé que 5/10 d’amour voit une pièce où le poète en ait montré dans ses personnages 6/10, intérieurement il le trouvera hors de nature, parce qu’il prend sa propre nature pour celle de l’homme en général.

C’est la majorité des hommes qui ont imposé les noms. Ils n’ont pu en donner à ce qui n’était jamais tombé sous un de leurs cinq sens et à ce que n’avait jamais éprouvé leur âme.

Donc plus on devient passionné plus la langue vous manque.

On pense beaucoup plus vite qu’on ne parle. Supposons qu’un homme pût parler