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Page:Stendhal - Pensées, II, 1931, éd. Martineau.djvu/163

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pensées

plaisent plus que comme me montrant ceux à qui il déplaît. Elles ne me donnent pas de la joie, je ne sais pas les répéter, j’y mets une énergie qui en détruit l’effet.

La haine des tyrans a été ma plus forte passion après l’amour de la gloire.

Ma vertu qui ne tend qu’au bonheur réel aurait donc besoin ici du secours d’une religion qui m’ordonnât sous la peine de tourments éternels de haïr les tyrans et de faire mes efforts pour les renverser.

Si je n’avais été fortement passionné, je n’aurais jamais vu l’évidence de l’utilité d’une religion.

Je puis en passant découvrir ici plusieurs vérités sur la plaisanterie. Il me semble que l’homme qui hait ne plaisante pas naturellement son ennemi. Me voici arrivé sans m’en apercevoir par un autre chemin[1]

  1. Par un autre chemin. Cette phrase rappelle les souvenirs les plus riants et les plus délicieux, à cause des jardins anglais des environs de Milan où j’ai eu les plus doux plaisirs, et où il m’est arrivé après mille détours que je suivais avidement, comme me menant à quelque chose de nouveau, de me retrouver à une statue, à un bosquet déjà connus.

    Combien seraient contraires les sentiments d’un homme qui, dans une nuit d’angoisse, cherchant sa femme enlevée, par une pluie battante, dans une nuit de décembre, ou cherchant éviter des gens d’armes qui le cherchent pour le mener à la mort, aurait suivi avidement un chemin comme le rapprochant du ravisseur ou l’éloignant des gendarmes, et, après deux heures de peines, verrait qu’il s’est éloigné de sa femme ou rapproché des gendarmes. Bien réfléchir à tout cela voilà tout le secret du style en vers et en prose,