Page:Stern - Mes souvenirs, 1880.djvu/60

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en velours. On n’y pouvait bouger que tout d’une pièce, et la tête, maintenue de face, ne se tournait qu’ensemble avec les épaules. C’était un charmant petit supplice. Je m’y accoutumai vite néanmoins, par docilité de nature et aussi parce qu’à force d’entendre célébrer le bel effet de ce casque de Pallas à mon front d’ivoire, et de ces bandelettes de velours noir sur ma chevelure d’or, j’avais fini par m’y croire un air de conquête. Mais la chose tourna tout autrement. Elle faillit avoir des conséquences bien diverses de celles que j’imaginais, et des effets tout opposés à ce qu’en attendaient mes bons parents. La Minerve mit ma vie en danger, et peu s’en fallut qu’elle ne me laissât défigurée ; voici ce qui arriva :

Un jour que je faisais à moi toute seule, ma mère étant au piano, qui jouait des Ländler de Vienne, un tour de valse dans le salon, je glissai en passant auprès de la cheminée. Embarrassée comme je l’étais dans ma Minerve qui m’empêcha de reprendre l’équilibre, je tombai, la tête la première, sur les chenets. Par bonheur, c’était l’été, il n’y avait point de feu. Mais les trois pointes aiguës des chenets m’entrèrent dans la joue si avant, ils y firent une plaie si profonde, que j’en porte encore à cette heure la cicatrice. À partir de ce jour, la Minerve me fut ôtée ; mais je ne crois pas que mes parents en aient conclu qu’on pouvait avoir eu tort de me la mettre.