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Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/384

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citer n’en soit pas une preuve, il est indubitable cependant que l’homme le plus dur a long-temps combattu avec lui-même avant que de mériter la gloire d’un pareil caractère. Les habitudes vicieuses sont bien difficiles à subjuguer, mais les impressions naturelles de la bienfaisance sont aussi difficiles à réduire qu’elles : il faut qu’un homme fasse de longs efforts pour arracher de son cœur cette partie si noble de sa nature. L’antiquité nous en laisse un bel exemple. Alexandre le tyran de Phérès, qui avoit eu l’industrie d’endurcir son cœur de manière à prendre plaisir aux meurtres que sa cruauté faisoit sans cause et sans pitié de ses sujets, fut tellement touché des malheurs fantastiques d’Hécube et d’Andromaque, à une représentation de cette tragédie, qu’il fondit en larmes. L’explication de cette inconséquence est facile, et jette un grand jour sur la nature humaine. Dans le cours de sa vie réelle, il étoit aveuglé par ses passions, et guidé par son intérêt ou son ressentiment ; ici, ces motifs ne trouvent point de place, ses affections étoient préoccupées, et ses vices endormis : alors la nature s’éveilloit en triomphe, et elle démontroit combien profondément elle a planté dans le cœur de l’homme les