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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/163

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en arrière, afin de se soustraire à un nouveau baiser, puis pâlit, défaillit ; ses yeux se fermèrent à demi, la langueur, la lassitude semblèrent briser ses bras si longtemps convulsivement tendus, et elle laissa involontairement, peu à peu, glisser entre ses doigts engourdis, inertes, les plis du vêtement de San-Privato, qu’elle avait jusqu’à ce moment si puissamment aidé à se soutenir au-dessus des abîmes.

Le fourbe vit alors avec une nouvelle épouvante l’aide de Jeane lui manquer tout à coup, et, ne doutant plus cette fois de sa perte imminente, les points d’appui qu’avaient rencontrés ses pieds ne suffisant pas seuls à le préserver de sa chute, il poussa un cri affreux, et, s’adressant à la jeune fille, presque fou de terreur et écumant de rage :

— Tu m’abandonnes, je ne mourrai pas seul !

Et San-Privato, éperdu, au risque d’entraîner avec lui Jeane défaillante, agenouillée, repliée sur elle-même, se pend à son cou et l’étreint si violemment, que ses ongles pénètrent la chair de la jeune fille, qui se sent glisser vers l’abîme.

— À moi, Maurice ! — cria-t-elle au moment où, d’un bond, le jeune montagnard se rapprochait d’elle.

Il juge d’un coup d’œil prompt et sûr ce qu’il doit faire pour tenter d’arracher sa fiancée à la mort, et, conservant son sang-froid, il arc-boute fermement son pied gauche aux parois du roc qui, d’un côté, surplombe le sentier, avance son pied droit jusqu’au bord du précipice où allaient rouler la jeune fille et Albert, puis se baisse, et, de sa main d’hercule, il saisit son cousin par les cheveux, le soutient, le hisse, l’attire ainsi à soi, et, de l’autre main, lui serrant les poignets à les briser, le force d’ouvrir les doigts et délivre de leur pression convulsive Jeane, déjà presque suffoquée.

Albert, tout à coup, pousse un cri de douleur : une poignée de ses cheveux venait de rester entre les mains de son sauveur, qui n’avait pu le saisir que par sa chevelure.

— Vite, enlace tes bras à ma jambe, — dit Maurice à son cousin ; — tiens-moi ferme, ne crains rien, j’ai le jarret solide.

Et, s’adressant à sa fiancée à demi privée de connaissance et la saisissant par la ceinture de maroquin qui serrait sa robe à la taille :

— Jeane, chère Jeane, tu es sauvée !… Ferme les yeux, afin de ne pas voir la profondeur du précipice, et tâche de te relever avec mon aide.

La présence de Maurice, sa voix bien-aimée, la confiance que