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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/240

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— Je me le rappelle, et cependant je sens renaître mes doutes, — répondit Maurice avec anxiété. — Ah ! combien est pénible cette indécision !

— Je ne veux peser en rien sur ta détermination, — reprit M. Dumirail ; — tu réfléchiras. J’ajouterai seulement que, dans le cas où tu voudrais embrasser la carrière diplomatique, aucun sacrifice ne me coûterait pour te mettre à même de la parcourir convenablement. Tu partirais le plus tôt possible avec ta mère et Jeane pour Paris ; notre ami, M. de Morainville, dirigerait le cours de tes travaux ; j’affermerais le Morillon, et bientôt j’irais vous rejoindre ; enfin, lorsque tu serais attaché à quelque ambassade, nous voyagerions avec toi. Je ne suis, comme on dit, jamais sorti de mon village, je ne pourrais désirer plus agréable occasion de voir du pays. Jeane et toi seriez toujours fiancés ; votre mariage aurait lieu lorsque, grâce à ton intelligence, à ton zèle et à l’appui de M. de Morainville, tu n’aurais plus rien à envier à ton cousin Albert ; alors, sois-en persuadé, notre chère Jeane serait ravie de te voir parvenu si haut, et elle t’en aimerait davantage.

— Ainsi, mon père, ni vous, ni ma mère, ni Jeane ne me quitteriez dans le cas où j’irais à Paris ou en pays étranger ? — reprit Maurice, de plus en plus ébranlé, séduit par cette riante perspective.

Et, cédant à la faiblesse et à l’irrésolution de son caractère, puis s’adressant à sa fiancée :

— Jeane, c’est bien tentant !

— Si séduisante que soit cette tentation, résistes-y, Maurice, résistes-y, je t’en conjure ! — dit Jeane d’un ton suppliant. — Je te le répète, je n’ai pour toi aucune ambition, et…

— Ma chère Jeane, — reprit très-sévèrement M. Dumirail, — il m’est pénible de remarquer ta persistance à jeter le désaccord entre moi et Maurice, à cette heure où il partage absolument ma manière de voir.

— Mon oncle, permettez-moi de…

— Non, je ne te permettrai pas de te mettre ainsi toujours en opposition formelle avec mes désirs, alors qu’ils n’ont d’autre but que le bien de mon fils.

— Je me tais, mon oncle, — répondit Jeane profondément attristée ; — excusez-moi, je me tais.

— Cependant, mon ami, — reprit madame Dumirail, — Jeane est assez intéressée dans la résolution dont il s’agit pour exprimer son opinion.

— Ma chère Julie, il est inutile d’entamer une discussion ; Mau-