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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/241

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rice aura le temps de réfléchir, de se décider librement, car, je le répète, je ne prétends en rien l’influencer.

— Mon cher ami, — dit Charles Delmare cachant sous un affectueux sourire ses mortelles angoisses, — une amitié déjà ancienne a ses droits, et sans doute vous me permettrez de vous demander comment il se fait qu’avant l’arrivée de M. San-Privato ici, vous vous montriez profondément satisfait de ce que Maurice, suivant votre exemple, cultiverait les champs paternels… tandis que maintenant, au contraire, vous…

— Pardon, mon cher monsieur Delmare, — dit sèchement M. Dumirail ; — je vous ferai observer que j’ai soixante ans passés, quelque bon sens, le sentiment de mes devoirs de père de famille, une tendresse éclairée pour mon fils et une volonté inébranlable ; c’est vous dire que, tout en appréciant, comme je le dois, l’excellente intention qui vous guide, vous trouverez bon que je ne tienne pas compte de vos objections, et surtout que je m’abstienne de répondre à une question dont ma juste susceptibilité pourrait se blesser.

— J’en serais désolé, mon ami, car rien n’est plus éloigné de ma pensée que de vous blesser…, — répondit Charles Delmare. N’accusez que ma franchise… vous y avez tant de fois fait appel, que j’avais cru pouvoir, ou plutôt devoir aujourd’hui vous parler en toute sincérité.

— Mille remercîments de votre bon vouloir ; mais je n’accepte les conseils que lorsque je crois bon de les demander

— Cependant les circonstances dans lesquelles vous avez fait appel à la sincérité de mon amitié étaient moins graves peut-être que celle dont il s’agit à cette heure.

— En vérité, — reprit impatiemment M. Dumirail, — il est inconcevable que l’on s’obstine à conseiller les gens quoi qu’ils en aient !

— Cette obstination, croyez-le, mon ami, a sa source dans une affection si vraie, que…

— Monsieur ! s’écria M. Dumirail perdant toute mesure, — savez-vous que votre persistance… devient intolérable ?

Charles Delmare, ne doutant plus, depuis quelques moments surtout, du désir de M. Dumirail de provoquer entre eux une rupture, s’était efforcé de la conjurer, ne paraissant pas remarquer la sécheresse et l’aigreur croissantes des paroles de son interlocuteur ; il tenta un dernier effort et reprit :

— Nous sommes de trop vieux amis, mon cher Dumirail, pour qu’une vivacité de votre part puisse jamais me choquer. Je con-