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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/245

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— Ah ! que de malheurs ! que de malheurs ! Mon pauvre Charles, brouillé avec M. Dumirail, n’ose pas retourner ouvertement au Morillon. Il est allé depuis deux jours rôder sous la terrasse, dans l’espoir d’apercevoir sa fille, M. Maurice ou sa digne mère ; au moins, ceux-là sont du parti de mon fieu ! Il a écrit hier une lettre que j’ai portée à M. Dumirail. Celui-ci a fait répondre qu’il enverrait la réponse… Qu’est-ce que tout cela va devenir, mon Dieu ? qu’est-ce que tout cela va devenir ?… Voilà donc mon Charles séparé de sa fille, ni plus ni moins que si l’on savait qu’il est le prétendu Wagner… Scélérat de muscadin !… c’est lui qui a causé tout le mal… Jour de Dieu ! quand je pense à cela !… il me prend, à moi qui ne tuerais pas un poulet… il me prend des rages… des rages !

Une expression sinistre assombrit la figure débonnaire de la vieille nourrice ; sa main, tremblante de colère, imprimait à son rouet un mouvement rapide et saccadé ; soudain, prêtant l’oreille du côté du jardin :

— J’entends des pas… Qui vient là ?

Geneviève se lève, et, ouvrant entièrement la porte entrebâillée, elle ajoute :

— C’est Josette, une des servantes du Morillon. Elle tient une lettre à la main ; c’est sans doute la réponse de M. Dumirail.

La servante, en effet, s’approche, entre dans la cuisine, et, s’adressant à la nourrice :

— Bonjour, mère Geneviève !

— Bonjour, Josette !

— Voilà une lettre de notre maître pour ce brave M. Delmare.

— Bonne Josette… vous aimez aussi mon fieu, vous ?

— Dame… il est toujours si avenant pour un chacun… aussi, tout le monde l’aime au Morillon.

— Et quoi de nouveau chez vous ?

— Oh ! bien du nouveau, mère Geneviève, tout est depuis hier au soir sens dessus dessous à la maison, depuis que monsieur a reçu une lettre de Paris, qu’il attendait avec impatience.

— Comment donc cela ?

— On fait des malles… des préparatifs de voyage.

— Qui est-ce donc qui s’en va en voyage, Josette ?

— Notre maîtresse, ainsi que mademoiselle Jeane et M. Maurice.

— Bonté divine ! ils partent !… Et où vont-ils ?

— À Paris, la grande ville, et je crois bien qu’ils m’emmèneront.

— Ils vont à Paris, miséricorde ! — murmura la nourrice joignant les mains avec angoisse ; — ah ! mon pauvre fieu !