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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/287

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sa candeur, il regarda comme un devoir d’honneur de ne pas paraître instruit du secret qu’il venait de surprendre pendant son évanouissement, et d’ailleurs, chose étrange, inexplicable à ses yeux, mais rassurante, son amour pour sa fiancée n’était en rien altéré ; aussi, rempli d’une sorte de compassion pour la pauvre Jeane, compassion à la fois tendre et vaniteuse, il se promit fermement de ne jamais abuser du secret d’Antoinette, de résister à tout entraînement et de n’accepter que l’amitié dévouée qu’elle lui offrait.

Madame de Hansfeld, lorsque Maurice eut complétement recouvré ses esprits, se transfigura ; une mélancolie touchante voila le brûlant éclat de ses grands yeux noirs, car, loin de songer à provoquer de nouveau l’ivresse sensuelle du jeune provincial, elle voulait au contraire, cette fois encore, la calmer. Elle reprit donc d’une voix attristée :

— Je tremble encore de l’effroi que vous m’avez causé, mon ami. Êtes-vous moins souffrant à cette heure ?

— Oui, ce malaise subit, dont je ne puis m’expliquer la cause, a cédé à vos bons soins, Antoinette, — répondit cette fois familièrement Maurice, puisant son assurance dans sa connaissance du secret de madame de Hansfeld.

Et il se disait en toute sincérité :

— Pauvre femme ! puisque je ne saurais répondre à sa folle passion, montrons-nous pour elle aussi affectueux que le meilleur des frères !

Et Maurice ajouta tout haut :

— Merci encore, ma chère Antoinette, des bons soins de votre excellente amitié…

— Ah ! Maurice, vous ne pouvez vous imaginer quel bonheur vous me causez en me parlant ainsi ! Vous me regardez toujours, n’est-ce pas, comme votre amie, votre sœur… n’est-ce pas ?

— Oh oui, la meilleure des sœurs, et je serai pour vous le plus dévoué des frères…

— Cher et bon Maurice, cette assurance de votre part me console, me donne du courage. Ah ! il m’en faut, du courage, car vous ne saurez jamais à quel point… je…

Madame de Hansfeld s’interrompit, porta son mouchoir à ses yeux, et, cachant ainsi à demi son visage, elle tendit une de ses mains à l’ingénu, en disant d’une voix altérée :

— Adieu, Maurice ! à demain, deux heures, n’est-ce pas ?

— Grand Dieu ! — s’écria Maurice aussi surpris qu’alarmé ; — qu’avez-vous, Antoinette ?… vous pleurez ?…