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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/288

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— Laissez-moi seule, mon ami ; je suis faible, je suis lâche, je suis folle : je devrais m’estimer si heureuse de compter sur votre amitié ; mais non, je suis insatiable, et…

Un sanglot étouffé coupa la voix de madame de Hansfeld, qui cachait toujours son visage dans son mouchoir.

Maurice, profondément attendri en songeant que la passion sans espoir qu’il inspirait à Antoinette causait les larmes qu’elle versait, sentit ses yeux se noyer de pleurs.

À ce moment, la porte du boudoir s’ouvrant de nouveau, le serviteur vint dire à sa maîtresse :

— La femme de chambre de madame la baronne demande ses ordres pour sa toilette.

Madame de Hansfeld, feignant de vouloir cacher ses larmes, se leva brusquement, et, tournant le dos au domestique, lui dit, en se dirigeant vers l’une des portes du boudoir :

— Je ne sortirai pas ; faites dételer ma voiture !

Puis Antoinette ajouta d’une voix altérée, sans regarder Maurice :

— À demain deux heures, monsieur Dumirail !

Et elle entra précipitamment dans un appartement voisin, dont elle referma la porte derrière elle.

— Pauvre femme ! — pensait Maurice, éprouvant une naïve et tendre commisération mêlée de surprise et d’orgueil ; — pauvre femme ! elle va donner un libre cours à ses larmes ; l’émotion la gagnait, ses forces sont à bout ; elle ne peut lutter contre la folle passion que je lui inspire, moi, moi pauvre provincial ! Est-ce possible ? est-ce croyable ? Hélas ! il faut bien le croire, ce n’est pas un rêve. Ce que j’ai entendu, ce que j’ai vu, ce ne sont pas des illusions, des songes. Oh ! Jeane, ma bien-aimée, tu ignoreras toujours le sacrifice que je fais à notre amour !… car elle est belle, oh ! bien belle, Antoinette de Hansfeld !…

Maurice, bien que livré à ces préoccupations en quittant le boudoir, observa plus attentivement qu’à son entrée le luxe princier des salons qu’il traversa, précédé du valet de chambre. Celui-ci, en serviteur bien appris, ouvrait avec fracas les deux battants des portes devant le jeune provincial, et, lorsque celui-ci arriva dans le salon d’attente, trois autres valets de chambre se levèrent respectueusement à son passage ; il en fut de même de six valets de pied, poudrés et en grande livrée, qui se tenaient dans l’antichambre.

Maurice descendit fièrement le perron, au bas duquel attendait la berline de madame de Hansfeld, équipage d’un goût irréprochable et attelé de deux admirables chevaux noirs, dont un gros